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Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/170

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les narrations n’est pas une distinction artificielle provenant de la division du travail entre les historiographes d’état, mais qu’elle est une distinction naturelle entre deux phases successives de l’art d’écrire l’histoire. On a commencé par les discours ; longtemps après, on s’est avisé de raconter simplement les faits. La raison de cette évolution se laisse apercevoir :

L’homme ne se plaît à réfléchir à sa vie passée que lorsqu’il arrive à la maturité ; les nations ne songent à se rappeler leur enfance que lorsqu’elles ont atteint une civilisation avancée ; c’est pourquoi l’histoire ne fait jamais son apparition qu’assez tard sur la scène littéraire. Nous retrouvons dans l’Iliade un épisode des luttes sanglantes qui marquèrent la rivalité de la Grèce européenne et de l’Asie Mineure ; mais les aèdes qui chantaient la merveilleuse épopée ne songeaient qu’à charmer leurs auditeurs. Il en a été de même des discours en Chine ; ils sont devenus pour une critique savante des documents historiques ; ils ne l’étaient point à l’origine. Ce qu’on admirait en eux, c’étaient les sages décisions des anciens rois et les conseils vertueux qu’ils se plaisaient à donner à leurs sujets ; l’esprit moraliste, qui devait avoir sa plus haute incarnation dans Confucius, anime déjà ces textes, les plus vieux monuments de la littérature, qui sont des dissertations propres à éveiller et à entretenir les bons sentiments. La tendance reste la même dans le Kouo yu qui continue naturellement le Chou king ; elle s’altère profondément dans le Tchan kou ts’é qui ne conserve plus que la forme extérieure du genre et ne saurait prétendre à moraliser le lecteur.

Quant à la chronique, si sa sécheresse nous fatigue souvent, nous devons reconnaître cependant que, dès son apparition, elle possède toutes les qualités d’exactitude et de netteté qui font la supériorité de l’oeuvre chinoise sur les écrits des autres peuples de l’Orient. Même les chroniques antérieures au Tch’oen ts’ieou présentaient ce caractère ; aussi n’est-ce pas à l’année 722 avant J.-C., première de la période Tch’oen ts’ieou,