Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/239

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cependant, au regard du critique, son talent d’écrivain est son principal défaut ; il couvre de trop de fleurs la rude antiquité ; il fait trop bon marché des débris frustes des premiers âges ; dans notre soif de connaître, nous serions presque tentés, avec M. Taine, de donner ses plus élégants discours pour quelque chant populaire, quelque formule de vieux droit, quelque prière rituelle où retentirait comme un écho des voix qui se sont tues. Cette préférence est légitime : nous avons reconnu que l’histoire parfaite est irréalisable ; il y a de l’infini dans les événements humains ainsi que dans toutes les manifestations de la nature et chaque point de vue nouveau nous révèle des horizons inattendus ; pour comprendre un fait, il faut le considérer sous des faces diverses, car il est la résultante de causes multiples et ses effets se propagent dans plusieurs directions ; il n’existe donc pas une histoire, mais plusieurs histoires, histoire politique, histoire économique, histoire sociale et d’autres encore sans compter celles que révélera l’avenir. La vérité n’est ici qu’une approximation, et le progrès se traduit par la convergence toujours plus prononcée de lignes de pensée toujours plus nombreuses vers un but qui échappera sans cesse à nos prises parce que l’idée ne peut jamais être adéquate à la vivante réalité. Si cette conception de la science historique est exacte, nous pourrons admirer les merveilleux historiens. de la Grèce et de Rome, mais ils ne satisferont pas nos exigences intellectuelles ; nous chercherons à dégager de tout l’art avec lequel ils les ont dissimulés les matériaux qui leur ont servi, car c’est dans l’expression nue des faits que nous trouverons la base de spéculations illimitées. Se-ma Ts’ien nous évite presque toujours ce travail puisque son intervention n’a point altéré les textes originaux. Grâce à lui et à ses successeurs qui ont imité sa méthode, si nous n’avons pas une histoire de Chine éloquente ou philosophique, nous possédons du moins et nous pouvons exploiter la plus riche carrière qu’il y ait jamais eu pour édifier les assises de la science que nous rêvons de plus en plus complexe, de plus en plus