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L’ÉCRIN DISPARU

Les deux chars rivaux sont côte à côte… Environnés par la foule de leurs partisans respectifs, qu’un même enthousiasme excite jusqu’à la frénésie, les concurrents, calmes, le sourire aux lèvres remercient de la voix et du geste.

Prenant ensuite leur position, ils attendent l’esprit et les nerfs tendus, le déclanchement qui sera le signal de leur infortune ou d’un triomphe incomparable. Une seconde encore, puis, dans le ronflement des moteurs, le coup de cloche résonne, lançant à toute vitesse les deux machines qui durant près d’un demi-tour se tiennent à la même hauteur. Bientôt le No 3 prend de l’avance en déchaînant les « hourras » des spectateurs. Le No 7, que pilote Giraldi, semble résigné à suivre son adversaire à la distance d’un demi-arpent environ. Mais au huitième tour l’habile chauffeur, faisant appel à toutes ses réserves d’énergie, fonce avec une vitesse vertigineuse, réussit à reprendre la tête du mouvement ; puis, d’aussi près que la prudence le lui permet, une seconde fois, il rase la clôture intérieure. En vain, son adversaire le talonne, Giraldi les bras nus, les cheveux au vent, une forte paire de besicles sur les yeux, accélère, tient tête au rival. Tandis que la cloche sonne, électrisé par les vociférations de la foule, il franchit la ligne 5 secondes avant son concurrent.

Des estrades, la foule comme un flot qui déborde, envahit la piste de courses et dans un transport délirant, le vainqueur est hissé sur les épaules de ses partisans qui lui font un triomphe comme à un général romain au retour d’une expédition glorieuse.

C’était le triomphe du « Moteur Giraldi » c’était la fortune, c’était la gloire. Demain, le portrait du Champion sera dans les journaux des deux Pays et son nom dans toutes les bouches. On parlera de lui comme d’un héros de la science, d’un pionnier de la civilisation, d’un bienfaiteur de l’humanité…

Et pourtant, dans cette même voiture qui avec lenteur comme pour mieux le laisser voir à la foule, le ramenait à l’Hôtel où il avait pris pension, Léo GIRALDI restait distrait, silencieux, presque sombre. Il possédait ce qu’il avait souhaité, et ne paraissait pas rayonnant. Son regard avait cette froide fixité que Lucie connaissait bien et qui n’était pas sans la laisser rêveuse elle-même. Giraldi semblait regarder en soi, quelque chose de morne et d’amer, plus fort que la fortune et la gloire et qui lui faisait oublier son triomphe.