Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appétits n’est pas ce qui lui suffit. Il s’élance sans cesse sur les ailes de la pensée, et là même rien ne le contente. A peine a-t-il saisi une lueur de la vérité, qu’il en veut saisir une autre encore ; sa raison devient plus curieuse, plus avide à mesure qu’elle se développe ; la connaissance appelle la connaissance, la science appelle la science, la méditation appelle la méditation. Que l’on donne à notre esprit la clé de tous les secrets de la nature, il croira encore ne rien posséder ; il élèvera tout de suite son vol vers les cieux pour pénétrer d’autres mystères, pour poursuivre d’autres découvertes. Poussés ainsi, sans trêve ni repos, par une sorte de puissance impérieuse qui se trouve au dedans de nous, vers la recherche d’objets qui ne se rencontrent nulle part sur la terre, quel dérisoire spectacle n’offririons-nous pas avec nos incessants soupirs vers l’Infini, si ces soupirs ne provenaient que de continuelles déviations de notre véritable destinée ? Existerait-il une créature plus singulière que l’homme ? De perpétuelles aspirations suivies de perpétuels mécomptes, des facultés toujours disposées à s’élancer vers d’immenses horizons et toujours condamnées à embrasser le néant, l’obligation imposée à notre âme de vivre pour le corps et le désir dont elle brûle sans cesse de s’en détacher par tous les efforts du sentiment, de l’imagination et de la pensée ; le supplice de Tantale ajouté au supplice de Sisyphe, voilà quel serait son sort ! Un mauvais génie, un génie malfaisant, aurait donc présidé à la formation de l’homme, et continuerait à se jouer indignement de lui ! Lui qui, en raison de l’excellence de sa nature et de la sublimité de son origine, devrait pouvoir cueillir des fleurs dans tous les coins de ce vaste univers, il se sentirait toujours porté à conspirer contre son propre bonheur, contre l’accomplissement de sa destinée, en s’occupant de questions dont la solution ne peut en rien contri-