Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/92

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tel qu’il sera. En se portant par avance dans l’avenir, l’intelligence de Dieu ne saurait donc y voir les événements futurs autrement que sous les caractères qui les accompagneront ou avec les causes qui leur donneront un jour naissance. Au lieu que ces événements une fois arrivés sont vus par nous, ils se présentent par anticipation à Dieu qui les prévoit intuitivement. Voilà toute la différence. Qu’ils soient par conséquent vus d’avance ou seulement connus après qu’ils auront eu lieu, en quoi cela peut-il changer leur nature ? S’ils sont un jour accomplis librement, la prescience divine ne les a-t-elle pas connus depuis longtemps comme devant l’être ainsi, et serait-il raisonnable de prétendre que parce qu’ils furent prévus, ils ne sauraient plus être accomplis librement ?

Au contraire, le Judaïsme a senti que faire entrer, pour quelque peu même que ce fût, le fatalisme dans l’accomplissement ultérieur des faits prévus comme devant librement se réaliser, ce serait porter atteinte au caractère auguste de la prescience divine qui réellement n’est si grande et si majestueuse, que parce qu’elle se garde de toucher aux libres prérogatives de l’homme. Dire que Dieu sait ce que chaque siècle amènera sur nos têtes, et laisser pourtant à l’humanité la liberté de le préparer et de le consommer, pour qu’elle en ait ou toute la gloire ou toute la honte, n’est-ce pas plus noble et plus moral surtout que de faire intervenir sans motif la main de Dieu, ou, ce qui revient au même, la loi d’une implacable fatalité, dans les diverses phases qui ont déjà marqué et qui marqueront encore la marche ascendante de la civilisation ? Car, on a beau décorer cette intervention du nom de Providence, elle n’en est pas moins attentatoire à notre libre arbitre. Que ce soit Dieu ou l’aveugle destin qui se mêle de nos actions, ces dernières n’en deviennent pas moins fatales et, par suite, perdent leur auréole, leur