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Si un homme disait, en demandant sa carte de membre : « Je suis d’accord avec le parti sur tel, tel, tel point ; je n’ai pas étudié ses autres positions et je réserve entièrement mon opinion tant que je n’en aurai pas fait l’étude, » on le prierait sans doute de repasser plus tard.

Mais en fait, sauf exceptions très rares, un homme qui entre dans un parti adopte docilement l’attitude d’esprit qu’il exprimera plus tard par les mots : « Comme monarchiste, comme socialiste, je pense que… » C’est tellement confortable ! Car c’est ne pas penser. Il n’y a rien de plus confortable que de ne pas penser.

Quant au troisième caractère des partis, à savoir qu’ils sont des machines à fabriquer de la passion collective, il est si visible qu’il n’a pas à être établi. La passion collective est l’unique énergie dont disposent les partis pour la propagande extérieure et pour la pression exercée sur l’âme de chaque membre.

On avoue que l’esprit de parti aveugle, rend sourd à la justice, pousse même des honnêtes gens à l’acharnement le plus cruel contre des innocents. On l’avoue, mais on ne pense pas à supprimer les organismes qui fabriquent un tel esprit.

Cependant on interdit les stupéfiants.

Il y a quand même des gens adonnés aux stupéfiants. Mais il y en aurait davantage si l’État organisait la vente de l’opium et de la cocaïne dans tous les bureaux de tabac, avec affiches de publicité pour encourager les consommateurs.

La conclusion, c’est que l’institution des partis semble bien constituer du mal à peu près sans mélange. Ils sont mauvais dans leur principe, et pratiquement leurs effets sont mauvais.

La suppression des partis serait du bien presque pur. Elle est éminemment légitime en principe et ne paraît susceptible pratiquement que de bons effets.

Les candidats diraient aux électeurs, non pas : « J’ai telle étiquette » — ce qui pratiquement n’apprend rigoureusement rien au public sur leur attitude concrète concernant les problèmes concrets — mais : « Je pense telle, telle et telle chose à l’égard de tel, tel, tel grand problème. »

Les élus s’associeraient et se dissocieraient selon le jeu