Page:Sincère - Le Sorcier de Septêmes (paru dans Le Roman, journal des feuilletons Marseillais), 1873.djvu/10

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— Ah ! tu n’as rien ! dit-il… Eh bien, voici quelque chose !… Avec ça l’on ne meurt pas de faim.

Et il dépose sur la table une tranche de jambon et un saucisson couvert de cendres.

— Au vin maintenant.

Il prit un pichet en terre sur l’évier et sortit de nouveau par la porte du cellier.

— Que faire, mon Dieu ? que faire ?… — continua Catherine dès qu’il eut disparu. — Décidément, il ne faut pas songer à cette issue, du moins pour le moment… Une fois ce butor couché, celle-ci, ajouta-t-elle en regardant celle par où son mari venait de ressortir, offrira beaucoup moins de risques… Le mieux donc est de lui aider… De cette manière, il en finira plus tôt.

Sur ces mots, elle s’empressa de mettre le couvert, essuya le saucisson et le plaça sur une assiette ainsi que le jambon, et posa le tout au milieu de la table. Elle monta ensuite sur une chaise, retira de dessus son armoire quelques fruits et les joignit au reste. Elle avait enfin pris aussi, sur une étagère, un gros pain rond et allait le mettre sur la table, lorsque Ambroise, rentrant en ce moment, demeura tout interdit en voyant son couvert mis et sa femme activement occupée à faire ce à quoi elle s’était d’abord si obstinément refusée.


II. Où l’on voit le portrait d’Ambroise et de Catherine et où l’on apprend qu’ils ne sont pas seuls au logis.


Puisque l’étonnement d’Ambroise et le mutisme momentané de sa femme nous donnent un peu de répit, profitons-en pour examiner de plus près nos deux personnages et pour faire avec eux une connaissance, plus intime et plus approfondie.

À cette époque, Catherine était une femme de trente-cinq à trente-six ans environ, et elle portait son âge, de façon à ne pas en paraître plus, de trente.

Elle était de taille moyenne, un peu maigre, mais ses formes, complétées par le temps et développées par la maternité et le bien-être, avaient acquis ces lignes onduleuses et arrondies qui donnent au corps une grâce que l’embonpoint alourdit au début et finit ensuite par faire disparaître.

Elle avait de grands yeux noirs et une chevelure de même couleur que les jeunes filles du pays lui enviaient à bon droit, car ce noir, au lieu de ce ton dur et cru qui l’accompagne ordinairement en Provence, avait de ces teintes bleuâtres et veloutées qui en adoucissent la rudesse et lui impriment des reflets qu’on croirait uniquement réservés aux chevelures blondes ou cendrées.

Ses sourcils et ses cils participaient de la beauté de la