Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/584

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celles qui intéressaient la couronne, étaient laissées à la décision de leurs propres magistrats. Dans d’autres pays, on leur accorda souvent des droits de justice plus considérables et plus étendus[1].

Il était vraisemblablement indispensable d’accorder aux villes auxquelles on avait permis de prendre à ferme leurs propres revenus quelque espèce de juridiction coercitive pour obliger leurs citoyens au payement de leur contribution. Dans ces temps de troubles, il aurait pu leur être extrêmement incommode d’être réduites à aller chercher justice vers tout autre tribunal. Mais ce qui doit paraître vraiment extraordinaire, c’est que tous les souverains des différents pays de l’Europe aient ainsi échangé, contre une rente fixe qui n’était plus susceptible d’augmentation, la branche de leurs revenus qui, de toutes, était peut-être la plus susceptible d’augmentation par le cours naturel des choses, sans qu’ils eussent à y mettre ni soins ni dépenses et que, d’ailleurs, ils aient ainsi, de leur propre volonté, érigé dans le cœur de leurs États des espèces de républiques indépendantes.

Pour expliquer ceci, il faut se rappeler que dans ces temps-là il n’y avait peut-être pas un seul souverain en Europe qui fût en état de protéger, dans toute l’étendue de ses États, la partie la plus faible de ses sujets contre l’oppression des grands seigneurs. Ceux que la loi ne pouvait pas protéger, et qui n’étaient pas assez forts pour se défendre eux-mêmes, furent obligés, ou de recourir à la protection de quelque grand seigneur, et de devenir, pour l’obtenir, ses esclaves ou ses vassaux, ou bien d’entrer dans une ligue de défense mutuelle pour la protection commune. Les habitants des villes et des bourgs, considérés individuellement, n’avaient pas le pouvoir de se défendre ; mais en se liguant avec leurs voisins pour une défense mutuelle, ils furent en état de faire une résistance passable. Les seigneurs méprisaient les bourgeois, qu’ils regardaient non-seulement comme une classe fort inférieure, mais comme un ramas d’esclaves émancipés, presque d’une autre espèce qu’eux. La richesse des bourgeois ne manqua pas d’exciter leur colère et leur envie, et ils les pillaient sans pitié et sans remords à toutes les occasions qui s’en présentaient. Naturellement les bourgeois durent haïr et craindre les seigneurs ; le roi les haïssait et les craignait aussi.

  1. Voyez Firma Burgi de Madox ; voyez aussi Pfeffel, sur les événements remarquables arrivés sous Frédéric II et ses successeurs de la maison de Souabe.