Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/78

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mique, l’abbé Morellet, se hâta d’en composer une traduction dont quelques considérations particulières ont arrêté la publication. Le succès ne fut pas moins décidé en Angleterre, où, de tout temps, les matières d’économie politique ont été l’objet de savantes et profondes méditations. On sait qu’un des hommes d’État les plus célèbres de cette nation fit de l’ouvrage de Smith son étude favorite, et que plus d’une fois il exprima le regret de ce que les préjugés populaires dont il était difficile à l’administration de secouer entièrement le joug, et l’obsession continuelle des riches négociants et des gros manufacturiers ne laissaient pas au gouvernement la liberté de se rapprocher du système le plus raisonnable de tous et le plus propre à affermir et à consolider la prospérité nationale.

Si un génie tel que celui d’Adam Smith se fût montré dans les beaux jours de l’antiquité, ce philosophe aurait été le fondateur d’une grande et illustre école, dont les disciples n’auraient songé qu’à étudier et à propager les leçons de leur maître. Mais dans cet âge on est peu disposé à jurer sur les paroles d’autrui et à reconnaître l’empire de ces hommes supérieurs que la nature crée, à de longues distances, pour éclairer leur siècle.

Depuis une vingtaine d’années environ, des écrivains qui s’annonçaient pour être des disciples de Smith, et qui protestaient sa doctrine sur presque tous les points, se hasardèrent à contester hautement quelques-uns de ces principes fondamentaux sur lesquels elle repose.

L’un prétendit que le travail ne pouvait être considéré comme une mesure des valeurs, puisque, disait-il, rien n’est plus variable ni plus incertain que la valeur du travail, comme Smith lui-même l’a reconnu en vingt endroits de son ouvrage, dans lesquels il déclare que le salaire du travail varie d’un moment à l’autre, et souvent même dans les lieux les moins distants. Ce critique, confondant ainsi la valeur que donne l’ouvrier avec celle qu’il reçoit en échange, est justement tombé dans la méprise que Smith a cherché à prévenir par une distinction parfaitement claire. Le salaire d’un ouvrier, dans l’Inde, n’est peut-être qu’un cinquième de ce que reçoit un ouvrier à Paris pour la même quantité de travail ; cependant l’Indien, comme le Parisien, ont fourni, dans l’espace d’une journée, la même quantité de leur temps, de leur force, de leur repos et de leur liberté. Le travail est beaucoup plus productif dans une société civi-