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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/531

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premier de ces impôts sera toujours proportionné à la valeur du produit réel de la terre ; le produit du second pourra, en différents temps, être dans des proportions très-différentes avec cette valeur.

Quand, au lieu d’une certaine quotité du produit de la terre ou du prix d’une certaine quotité, on paie une somme fixe en argent pour tenir complètement lieu de tout impôt ou dîme, alors l’impôt devient, dans ce cas, précisément de même nature que la taxe foncière d’Angleterre. Il ne monte ni ne baisse avec le revenu de la terre ; il n’encourage ni ne décourage l’amélioration et la culture. Dans la plupart de ces paroisses, qui payent ce qu’on appelle le modus ou abonnement pour tenir lieu de toute autre dîme, cette dîme est un impôt de ce genre. Dans le Bengale, sous le gouvernement mahométan, au lieu d’un prélèvement en nature du cinquième du produit, la perception avait lieu, dans la plupart des districts ou zemindarats du pays, d’après un abonnement semblable, qui était, à ce qu’on dit, très-modéré. Quelques-uns des facteurs de la Compagnie des Indes, sous prétexte de rétablir à sa vraie valeur le revenu public, ont changé, dans quelques provinces, cet abonnement en un payement en nature. Sous leur régime, un pareil changement doit, selon toute apparence, non-seulement décourager la culture, mais encore ouvrir de nouvelles sources aux abus déjà si multipliés dans la perception du revenu public ; aussi ce revenu est-il extrêmement tombé au-dessous de ce qu’il était, à ce qu’on assure, quand la compagnie a commencé à en prendre la régie. Il se peut que les facteurs de la compagnie aient trouvé leur compte à un tel changement de perception, mais c’est vraisemblablement au détriment de l’intérêt de leurs maîtres et de celui du pays[1].

  1. Le point de vue pris par A. Smith dans le développement de l’opération des taxes sur les revenus des terres nous parait complètement faux. Il ne fait point de distinction entre les taxes sur les revenus proprement dits, c’est-à-dire sur les sommes que rapporte l’exploitation du sol, et les taxes sur les revenus, dans le sens populaire du mot, c’est-à-dire sur le total de la somme payée, non-seulement pour le sol, mais aussi pour les bâtiments, s’il y en a, les rigoles et haies, et les améliorations de tout genre. A. Smith a pensé que les taxes sur les revenus du sol, dans le sens populaire et étendu du mot, tombaient entièrement sur le propriétaire. Il est évident que ceci estime erreur. La somme payée aux propriétaires pour l’exploitation du sol serait entièrement absorbée par la taxe, qu’il serait impossible aux propriétaires de faire partager leurs charges aux autres ; mais, en tant que la rente compte dans le revenu du capital affecté aux améliorations et bâtiments, aucune taxe ne saurait l’enlever aux propriétaires.

    Dans la pratique, il est impossible dans un pays ancien, organisé et bien cultivé, de diviser le revenu brut dans les différentes parties qui le composent, ou de distinguer entre la somme payée pour l’exploitation du sol et celle payée pour le capital qui y aura été dépensé. Mais supposons un instant qu’une pareille séparation puisse se faire, alors la première partie, ou celle payée pour l’exploitation du sol, formant un surplus sur les frais de production, il est clair qu’elle pourra être entièrement enlevée par la taxe, sans que cela affecte d’autres intérêts que ceux des propriétaires. La taxe la plus lourde ne contribuerait pas à faire hausser le prix des matières premières, car rien ne peut affecter ce prix, sans affecter en même temps les frais de la production. Or, la rente des terres est tout à fait indépendante des frais de production, elle ne peut même pas exister avant que le fermier soit rentré dans toutes les dépenses faites pour porter ses produits au marché, et avant qu’il ait retiré les bénéfices convenables de son capital engagé dans la construction des bâtiments, haies, dans les semences, le travail, instruments, etc. Les prix des produits ne seront donc pas affectés, bien que la taxe absorbe tout le revenu de la terre, c’est-à-dire la somme entière payée pour l’exploitation du sol.

    Il serait impossible au gouvernement, quand même il serait disposé à le faire, d’enlever par une taxe directe le total de la rente du propriétaire, c’est-à-dire le total de la somme payée non-seulement pour l’exploitation du sol, mais aussi pour les bâtiments et constructions. Car un impôt qui frapperait n’importe de quelle façon le revenu du capital employé en améliorations, aurait pour effet de faire hausser le prix des matières premières, et retomberait nécessairement sur le consommateur. La rente pour l’exploitation du sol appartient aux propriétaires, non pas comme cultivateurs, mais comme propriétaires ; il n’en est pas de même de la portion du revenu payée pour améliorations et constructions. Ces améliorations, ils les ont faites en leur qualité de cultivateurs, et il est alors évident qu’une taxe qui frapperait le revenu de ce capital affecterait infailliblement les prix des matières premières. Supposons, par exemple, que le total de la rente d’une ferme s’élève à 500 l. sterl. par an, dont la moitié, ou 250 l. sterl., serait payée comme intérêt du capital employé en améliorations. Si dans un cas pareil une taxe de 10 pour 100 était imposée sur ce revenu, la moitié seulement, ou 25 liv. sterl., serait entièrement à la charge du propriétaire. D’abord, il est vrai, le total de la taxe pèserait sur lui ; mais la moitié de cette somme serait évidemment à déduire de l’intérêt du capital affecté aux améliorations, et non pas de la rente du sol proprement dite. Les propriétaires des terres seraient alors naturellement dans une position moins favorable que les autres producteurs ; ils se verraient obligés de ne pas placer des capitaux dans l’exploitation, avant qu’une hausse dans les prix des céréales et des autres matières premières, produite soit par la diminution de la quantité, soit par l’accroissement de la demande, les mette dans la même position que les autres producteurs, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils aient obtenu le taux des profits communs et ordinaires provenant du capital affecté aux améliorations. Il est donc évident que si par une taxe exclusive le Trésor peut absorber tout le revenu provenant de l’exploitation du sol, l’autre portion, provenant du rapport des capitaux engagés dans les constructions et améliorations, ne saurait rester à la longue affectée par une taxe de celle espèce, et qu’en définitive le niveau entre le rapport des produits de la terre et celui des autres productions se rétablirait bientôt.

    Du point de vue pratique, des taxes sur le revenu des terres seront toujours une mesure des plus injustes et des plus impolitiques. Il est, comme nous avons déjà démontré, tout à fait impossible de diviser cette rente dans ses éléments, et de constater d’une manière précise la part appartenant au revenu net du sol, et celle provenant des capitaux engagés dans les améliorations. Il n’y a pas deux agriculteurs qui, dans l’examen d’un cas particulier, arrivent, si ce n’est par hasard, au même résultat, et les juges les plus compétents affirment qu’en général une pareille distinction devient impossible. Quand donc, en conséquence, une taxe est imposée sur la rente de la terre, elle sera nécessairement proportionnée au montant du total, sans distinction des sources d’où elle provient. Une pareille taxe a toujours été et sera inévitablement toujours un obstacle invincible à toute amélioration ; car, la taxe frappant les capitaux dépensés en améliorations, empêchera l’emploi de nouveaux capitaux. L’injustice de cet impôt n’est pas moins claire. Supposons que deux propriétaires fonciers se partagent d’une manière égale un revenu de 1,000 liv. sterl. par an ; la propriété de l’un consistera en terres d’une excellente qualité, qui n’ont besoin, pour être mises en culture, que d’un capital relativement petit ; celle de l’autre consistera en terres d’une qualité inférieure, et aura exigé des capitaux considérables pour son exploitation. La taxe enlèvera dans le revenu de la première une portion due à la faveur de la nature ; mais dans le revenu de la seconde, elle n’atteindra que le travail et l’industrie de l’homme. De là l’injustice manifeste des taxes sur le revenu foncier. Nous doutons qu’il soit possible de rien imaginer qui fût plus contraire aux vrais principes et plus défavorable aux progrès de la culture. La contribution foncière, en France, était «ne taxe de ce genre ; et elle fait le sujet des plaintes de tous les écrivains qui s’occupent de l’agriculture de la France.
    Mac Culloch.