Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/621

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tité de choses nécessaires aux besoins de la vie. Dans cet état encore informe, le payement de ce revenu se résout communément en une immense provision de choses de première nécessité, en denrées propres à fournir une nourriture simple et de grossiers vêtements, en blé et bétail, en laine et peaux crues. Quand ni le commerce ni les manufactures ne fournissent d’objets d’échange contre lesquels le propriétaire de toutes ces denrées puisse échanger tout ce qu’il en possède au-delà de sa consommation propre, il ne peut faire autre chose de cette quantité surabondante que d’en nourrir et d’en habiller à peu près autant de monde qu’elle peut en nourrir et en habiller. Dans cet état de choses, la principale dépense que puissent faire les riches et les grands consiste en une hospitalité sans luxe et des libéralités sans ostentation. Mais, comme j’ai cherché pareillement à le montrer dans le même livre[1], ces sortes de dépenses sont de nature à ne pas ruiner aisément ceux qui les font. Parmi les plaisirs personnels, au contraire, il n’y en a peut-être pas de si frivole qui n’ait quelquefois ruiné ceux qui s’y sont livrés, et même des hommes qui n’étaient pas dépourvus de jugement. La passion des combats de coqs n’en a-t-elle pas ruiné beaucoup ? Mais je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’exemples de gens réduits à la misère par une hospitalité ou des libéralités du genre de celles dont je parle, quoique l’hospitalité de luxe et les libéralités d’ostentation en aient ruiné un grand nombre. Le long temps pendant lequel, sous le régime féodal, les terres demeuraient dans la même famille, est une preuve suffisante de la disposition générale de nos ancêtres à ne pas dépenser au-delà de leurs revenus. Quoique l’hospitalité rustique, continuellement exercée par les grands propriétaires, ne nous semble peut-être guère compatible avec cet esprit d’ordre que nous regardons volontiers comme inséparable d’une vraie économie, cependant nous serons bien obligés de convenir qu’ils ont été au moins assez économes pour n’avoir pas communément dépensé tout leur revenu. Il y avait une partie de leurs laines et de leurs peaux qu’ils trouvaient à vendre pour de l’argent. Peut-être dépensaient-ils une portion de cet argent à acheter le peu d’objets de luxe et de vanité que les circonstances du temps pouvaient leur fournir ; mais il paraît aussi qu’une autre portion était communément mise en réserve. Il est vrai qu’ils ne pouvaient guère faire autre chose de l’argent qu’ils épargnaient que de thésauriser. Il

  1. Voyez tome 1, page 512.