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Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/65

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que ses opérations en ce genre n’ont pas tourné à l’avantage de sa patrie. Par le tarif de 1667, ce ministre imposa de très-forts droits sur un grand nombre d’articles de manufacture étrangère. Sur son refus de les modérer en faveur de la Hollande, celle-ci, en 1671, prohiba l’importation des vins, des eaux-de-vie et des produits des manufactures de France. Cette querelle de commerce paraît avoir occasionné en partie la guerre de 1672. La paix de Nimègue, en 1678, mit fin à cette guerre, en modérant quelques-uns de ces droits en faveur de la Hollande, laquelle, en conséquence, leva sa prohibition.

Ce fut à peu près vers ce temps que la France et l’Angleterre commencèrent à opprimer réciproquement l’industrie l’une de l’autre par de semblables droits et prohibitions, dont toutefois la France paraît avoir la première donné l’exemple. L’esprit d’hostilité qui a toujours subsisté depuis entre les deux nations a empêché jusqu’ici que ces entraves n’aient pu être adoucies d’un côté ni de l’autre[1]. En 1697, l’Angleterre prohiba l’importation des dentelles de

  1. Ces entraves étaient modérées dans le traité de commerce que M. Pitt avait conclu avec la France en 1786. Ce traité fera, par la sagesse et la modération de ses stipulations, l’admiration de la postérité.

    Avec la conclusion de ce traité important commence une ère nouvelle dans l’histoire de la France et de l’Angleterre. Pendant plusieurs siècles ces deux pays avaient été rivaux et ennemis, et l’esprit qui avait provoqué leurs guerres désastreuses présidait à la partie commerciale de leur politique à ce point, que quoique en possession de tout ce qu’il fallait pour le développement de leur commerce, les uns dans le domaine des arts et de l’industrie, les autres par les richesses dues à un climat plus heureux et à un sol plus fertile, ils se trouvaient gênés dans l’échange de leurs produits par un système compliqué d’entraves et de droits élevés. L’objet du traité de commerce conclu par M. Pitt en 1786 fut de lever tous ces obstacles, et de faire oublier aux deux nations leurs anciens griefs en liant leurs intérêts par l’exercice d’un commerce réciproque.

    Tous les droits élevés qui, antérieurement à ce traité, pesaient dans chacun de ces deux pays sur les produits de l’autre, furent réduits d’un accord commun. Les vins français furent admis aux conditions assurées aux vins du Portugal par le traité de Methuen, et obtinrent par conséquent une diminution d’un tiers.

    Les droits sur beaucoup d’autres provenances de France furent considérablement réduits. La bière fut frappée d’un droit de 30 pour 100, et sur plusieurs autres articles le droit fut élevé de 10 à 12 pour 100, conformément à l’article 6 du traité, augmentation qui évidemment ne pouvait pas gêner le commerce des deux pays. Quant aux marchandises qui n’étaient pas expressément mentionnées, il fut convenu qu’elles ne payeraient pas un droit plus élevé que les mêmes marchandises importées par les nations les plus favorisées. Les navires des deux nations furent affranchis des droits de port qu’ils payaient autrefois, et les créanciers eurent la permission de poursuivre leurs débiteurs d’un pays à l’autre. La législation maritime de l’Europe fut modifiée par ce traité en plus d’un point important, de manière que la prohibition n’atteignait que les articles relatifs à une guerre de terre, tandis que la France était libre de fournir les ennemis de la Grande-Bretagne de tout ce qui leur était nécessaire pour une guerre navale. Le droit de recherche fut également abandonné par les deux parties contractantes, et un certificat délivré par les autorités compétentes fut déclaré suffisant pour constater la légalité d’une cargaison.

    Les motifs de cette convention furent exposés par M. Pitt, lorsqu’elle fut présentée au parlement, et les sentiments qu’il exprimait donnent à cette mesure un caractère remarquable de modération et de sagesse. Répondant à un argument tiré de la jalousie constante qu’on prétendait nécessaire envers la France, il s’écria : « En se servant de ce mot jalousie, entend-on recommander au pays cette espèce de jalousie qui ne saurait être que l’effet de la folie ou de l’aveuglement, cette espèce de jalousie qui doit le porter à rejeter follement tous les moyens de sa prospérité ou à s’attacher aveuglément aux causes de sa ruine ? Le besoin d’une animosité perpétuelle contre la France est-il si clairement démontré et si pressant, qu’il y faille sacrifier tout l’avantage commercial que nous avons lieu d’attendre des relations pacifiques avec ce pays ? ou des rapports de bonne intelligence entre les deux royaumes sont-ils si attentatoires à l’honneur, que même l’extension de notre commerce n’en pourrait racheter l’opprobre ? » Vers la fin du même discours, il s’exprima en ces termes : « Les querelles entre la France et la Grande-Bretagne ont pendant un trop long espace de temps, non-seulement fatigué ces deux nations puissantes et respectables, mais plus d’une fois compromis la paix de l’Europe et porté le trouble jusqu’aux extrémités de la terre. À les voir agir, on les eût dites résolues à s’entre-détruire.

    « J’espère que le temps est venu enfin où elles doivent se conformer à l’ordre de l’Univers et se montrer propres à réaliser les bénéfices d’un commerce amical et d’une bienveillance mutuelle. Si j’envisage le traité au point de vue politique, poursuivit-il, je ne saurais hésiter à combattre cette opinion trop souvent émise, que la France est nécessairement une ennemie irréconciliable de l’Angleterre. Mon esprit réprouve cette doctrine comme monstrueuse et impossible. Il est lâche et puéril d’admettre qu’une nation puisse être l’ennemie irréconciliable d’une autre. C’est démentir l’expérience des peuples et l’histoire de l’humanité. C’est faire la satire de toute société politique, et supposer un levain de malice diabolique dans la nature de l’homme. Ce n’est que lorsque la politique des États repose sur des principes libéraux et éclairés, que les nations peuvent espérer une tranquillité durable. » Avant la conclusion de ce mémorable traité, les relations amicales entre la France et la Grande-Bretagne rencontraient mille difficultés. Les hommes d’État de ce pays (l’Angleterre) semblaient croire que parce que Louis XIV a troublé la paix de l’Europe, tous ses successeurs devaient être possédés de la même ambition ; et réglant leur conduite par cette présomption, ils provoquaient l’inimitié dont ils se plaignaient. Par le traité de 1786, une nouvelle politique fut inaugurée. Les deux gouvernements, loin d’admettre la nécessité d’une hostilité éternelle entre les deux peuples, résolurent de faire la tentative d’une union sincère et durable. Ainsi considéré comme mesure politique et comme mesure commerciale, ce traité restera un monument de sagesse d’État et d’intelligence des affaires, sera dans les âges futurs l’entretien des hommes qui réfléchissent, et servira de thème aux éloges de l’historien *. Buchanan.

    *. Il avait été stipulé par le traité de Methuen, que les vins du Portugal payeraient un tiers moins que ceux de France. La réduction d’un tiers opérée sur les droits qui frappaient les vins de France entraînait nécessairement, conformément à la convention conclue avec le Portugal, la réduction d’un tiers sur les droits payés jusqu’alors par les vins du Portugal, condition qui fut mise en vigueur d’un accord commun avec le gouvernement portugais. Buchanan.