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LA CORVÉE

— Comme ça, Jacques, notre curé organise sa grande corvée pour après-demain ?

— Oui, Aurélie, et ça m’a l’air qu’il va y avoir gros de monde !

— Et toi ?

— Oh ! moi, je suis vieux, plus vieux que les autres. Mais c’est pour la charité, vois-tu. Y a tant de pauvre monde à la ville. Tu as entendu qu’on vend le bois de corde douze piastres de ce temps-ci à Montréal. Les pauvres vont mourir de froid, bien sûr ! Et puis, tu comprends, on est pas des enfants, on sait bien que le curé va profiter de ça pour avancer son affaire de chemin de fer. C’est un homme ben capable, notre curé, et moi je dis qu’il l’aura, son chemin de fer !

— As-tu du bois de fait ?

— J’ai trois cordes de belle érable à la cabane. J’ai le temps à plein d’en bûcher d’autre avant les sucres. Et puis, continua l’homme après une hésitation, depuis le malheur, je me sens baisser, et ce sera peut-être ma dernière charité, Aurélie !

À ce mot de malheur, un silence peuplé de souvenirs s’installa entre les deux. Jacques regarda les étoiles qui luisaient, ardentes, sur l’étroite laize de velours sombre entre les fûts rigides des épinettes. Aurélie ferma les yeux et revit la scène