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dart se chargea de fournir le bois ; je m'engageai à apporter l'eau et je me transformai en cuisinier. Si je vous disais que j'ai réussi dans cette nouvelle position, vous ne me croiriez pas, cependant ces repas ont suffi tant bien que mal à nous conserver la vie.

« Nous instruisions les Indiens de temps en temps. Quelques-uns manifestèrent de très bonnes intentions. Ainsi un jeune homme, voyant que nous ne fumions pas, en avait conclu que fumer était un péché et avait mis de côté sa pipe. Les absences des sauvages sont malheureusement fréquentes et les instructions trop irrégulières pour produire beaucoup de fruit. Plus tard, je préparai, pour les missionnaires que j'espère envoyer, un plan en rapport avec les mœurs nomades des Indiens. Je connais à présent la contrée, la manière d'y voyager, l'idiome qu'on y parle, les dépenses qu'on doit y faire, les dispositions et les besoins des habitants, et une foule d'autres choses sur lesquelles je n'avais aucun renseignement précis.

« Le pays est parfaitement habitable. Ce qu'on redoute le plus lorsqu’on ne l’a pas visité, c’est la rigueur du froid. Cependant, chose curieuse, des deux saisons de l'année, car il n'y en a que deux, l'hiver est plus agréable que l'été. Il commence vers le milieu de septembre.

« Pendant mon voyage, les jours les plus froids du mois d’octobre furent les 22, 23, 24 et 25 ; le thermomètre descendit à 27°. En novembre, il marqua 32° ; en décembre, 38° ; et à la fin de janvier, le mercure resta gelé deux jours. Lorsque le ciel est serein, l'air devient tellement glacé qu'en le respirant on sent un malaise aux poumons. Si l'on ouvre les portes des maisons, la chaleur qui tend à s'échapper se condense subitement et rentre impétueusement en vapeur dans l'appartement. Chaque petit trou du mur ou du plafond par où un léger courant d'air peut passer, est marqué par une couche de glace ; le verglas sur les vitres dépasse un pouce d'épaisseur, et l'intérieur de la porte est constamment à moitié blanchi par le givre. Durant les grands froids, si on laisse tomber de l'eau, elle est gelée avant d'arriver au sol.

« Les chiens attelés au traîneau sont enveloppés d'une épaisse vapeur qui sort de leur corps et retombe sur eux comme du givre. On trouve des arbrisseaux dont les tiges sont chargées de baies gelées que la courte durée de l'été a empêché de mûrir. La glace du fleuve atteint une épaisseur de six à sept pieds, et une foule de petites rivières se solidifient tout d'un bloc. Malgré cela, on ne peut pas dire que l'hiver soit rigoureux. Le froid ne fait souffrir que par un ciel serein et un temps calme. Dès que le vent souffle, en effet, ou que les nuages s'amoncèlent, le thermomètre monte. Enfin, on est si bien enveloppé de fourrures et si parfaitement protégé qu'on a rarement à craindre d'inclémence de la saison.

« Un phénomène des plus curieux, c'est le mirage sur la neige. Un bâton planté debout ressemble de loin à un être vivant qui remue, marche, danse. Vous voyez une colline, un rivage ; vous approchez, il n'y a plus rien. Un vapeur, semblable à une épaisse fumée blanche, paraît indiquer un campement à proximité, bientôt vous vous apercevez que ce n'était qu'une illusion.

« Vous désirez sans doute que je vous parle des aurores boréales. Elles sont aussi variées que nombreuses ; elles arrivent si fréquemment qu'on finit par ne plus s'en occuper, et à peine en voit-on deux qui se ressemblent.

« Voici la description d'un de ces admirables phénomènes dont on ne peut se figurer toute la magnificence.

« C'était le 18 septembre ; nous étions au fort Saint-Michel. A huit heures et demie du soir, une traînée lumineuse de couleur verdâtre apparut dans le firmament, se dirigeant du nord-ouest au sud-est et passant le zénith. On ne saurait mieux la comparer qu'à une épaisse vapeur éclairée par une vive clarté ; nous pouvions distinctement discerner le courant qui, avec une rapidité prodigieuse, surgissait du nord-ouest pour aller se perdre dans les nuées du côté opposé. Le reste du ciel était serein, et la lune qui se trouvait alors au sud, à une altitude peu considérable, était à moitié voilée.

« L’aurore boréale étale à nos regards charmés ses magnificences et ses magies. De trois côtés différents de l’horizon, formant un demi-cercle dont le rond-point regarde le septentrion, des jets de lumière, rouge vif, rouge sombre, rouge clair, jaune safran, émeraude pâle, s'élancent et s'étendent sur le ciel bleu comme la toile d'un immense rideau, dont les plis moëlleux, toujours agités, toujours mobiles, toujours inconstants, vont se réunir au sommet du zénith en une couronne brillante, en une féerique coupole. Des frissons capricieux se jouent et courent dans les dessins de ces draperies diaphanes, de ces damas cramoisis et empourprés. Des vagues transparentes de flamme légère, aux formes indécises, s'élèvent et s'abaissent sous des souffles invisibles :