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de plus en plus à la chimie et y consacra les ressources considérables qu’il tirait de sa charge de fermier général. Il y avait bien une chimie avant lui, mais elle était entièrement empirique, et, pour les conceptions générales, n’avait pas dépassé très considérablement le niveau de l’alchimie dont elle était issue. Partant d’expériences très soigneusement conçues, raisonnant de façon méthodique, il révolutionna complètement cette science. Il montra le rôle essentiel que joue l’oxygène dans la combustion et dans l’oxydation. Il montra que l’eau n’était pas, comme on le croyait depuis les temps les plus reculés, un corps simple, mais qu’elle est un corps composé. Et il le montra en en faisant l’analyse, c’est-à-dire en la décomposant en oxygène et hydrogène, puis la synthèse, c’est-à-dire en la reconstituant à l’aide de ces deux gaz. Il rendit la chimie une véritable science en y introduisant l’idée de mesures précises à l’aide de la balance : c’est ainsi qu’il mit en évidence ce qui devait être désormais un des principes fondamentaux de la science : le principe de la conservation de la matière, qu’on énonce souvent ainsi : « Rien ne se perd, rien ne se crée ».

Ses recherches sur le rôle de l’oxygène, de la combustion, l’amenèrent à examiner la vie des animaux et à en étudier la respiration. C’est ainsi qu’il démontra que la respiration est une combustion, combustion lente à l’intérieur du corps, et c’est cette combustion (qui est à l’origine de la chaleur animale) qu’il mesura de façon précise. Par là un phénomène essentiel à la vie était rattaché à la physique et à la chimie.

Les sciences naturelles elles aussi se développent rapidement. Réaumur (1686-1757), grand ingénieur (il découvre ou perfectionne la fabrication de l’acier, du fer-blanc, de la porcelaine, le thermomètre), est surtout célèbre par ses remarquables études sur les insectes : il en observe les mœurs, il les suit dans leur activité, dans leurs rapports avec le milieu qui les environne. On peut, à bon droit, le considérer comme l’un des fondateurs de la biologie moderne.

Mais c’est surtout Buffon (1707-1788) qui a exercé une influence considérable sur son époque. Son Histoire Naturelle eut un immense succès. Intendant du Jardin du Roi (le Jardin des Plantes actuel), il observa et décrivit la Nature dans ses traits généraux. Des collaborateurs recueillaient pour lui les documents qui lui permettaient de formuler ses conceptions générales sur la nature. Les conclusions auxquelles il aboutissait, en particulier au sujet de l’âge de la Terre, étaient en contradiction complète avec l’enseignement de la Bible, et la Sorbonne condamna sa Théorie de la Terre. Buffon dut s’incliner, au moins en apparence, mais le fond de sa pensée continua d’exprimer la recherche d’explications rationnelles du monde, et en particulier du monde vivant. À ce titre, on peut le considérer comme le précurseur, sinon le fondateur de la grande doctrine du transformisme. Sous sa direction, le Jardin du Roi devint le plus riche d’Europe. De nombreux voyages d’exploration (Bougainville, La Pérouse), des correspondants dans le monde entier lui donnèrent un prestige universel. Les Jussieu y étudiaient la botanique, classaient les plantes d’après leur caractère en familles. Leur œuvre est à l’origine du développement des sciences naturelles au XIXe siècle.

Avec ce développement des sciences, avec le développement du