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l’action des sensations qui agissent les unes après les autres, Condillac montre comment se forment l’attention, la mémoire, l’imagination, la réflexion, le langage, etc… Par là était porté un coup décisif au côté métaphysique de la philosophie de Descartes. Par là aussi était montré le rôle essentiel que jouent dans le développement de l’homme, l’éducation, les circonstances extérieures, point décisif dans lequel le socialisme scientifique verra une de ses origines. « Si l’homme tire du monde physique et de l’expérience du monde physique toute connaissance, sensation, etc., il importe donc d’organiser le monde empirique de telle façon qu’il y trouve et qu’il s’assimile ce qui est réellement humain, de telle façon qu’il se reconnaisse comme homme. Si l’homme est formé par les circonstances, il faut former humainement les circonstances. » (K. Marx)


Diderot

Les théories de Condillac sont intimement liées au grand mouvement des Encyclopédistes qui va donner au matérialisme français du XVIIIe siècle sa forme la plus achevée. À leur tête se trouve Denis Diderot (1713-1784). Né à Langres, fils d’un coutelier, il vint faire ses études à Paris. Au désespoir de toute sa famille, il adopta la vie qui lui plaisait, celle d’homme de lettres. Elle nourrissait mal son homme à cette époque, et Diderot vécut difficilement, donnant des leçons, exécutant des besognes de librairie. Mais il étudie, apprend tout ; les mathématiques, la physique, la médecine et, dès ses premiers ouvrages : Pensées philosophiques (1746), Lettres sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749), la conception matérialiste du monde se développe pour achever de se préciser dans les Pensées sur l’interprétation de la Nature (1754), dans le Rêve de d’Alembert (publié après sa mort). C’est Diderot qui a écrit : « Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement. Il faut renverser les barrières que la raison n’aura point posées. »

Une critique pénétrante de la religion, voilà ce que nous trouvons dans les Pensées philosophiques. « Si la raison est un don du ciel, et que l’on en puisse dire autant de la foi, le ciel nous a fait deux présents incompatibles et contradictoires. Pour lever cette difficulté, il faut dire que la foi est un principe chimérique, et qui n’existe point dans la nature » ; et plus loin, il ajoute : « Égaré dans une forêt immense pendant la nuit, je n’ai qu’une petite lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit : Mon ami, souffle ta bougie pour mieux trouver ton chemin. Cet inconnu est un théologien. »

Ainsi tout, y compris la religion, doit être soumis à la raison. Si la religion ne satisfait pas aux exigences de la raison, elle doit être abandonnée. Et Diderot, dès lors, d’accumuler les arguments : « Une religion vraie, intéressant tous les hommes dans tous les temps et dans tous les lieux, a dû être éternelle, universelle et évidente ; aucune n’a ces trois caractères. Toutes sont donc trois fois démontrées fausses. » Les miracles témoignent-ils en faveur de la religion ? «  Prouver l’Évangile par un miracle, c’est prouver une absurdité par une chose contre nature. » Et par ailleurs, la religion