Page:Soloviev - L'Idée russe.djvu/11

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l’égard du christianisme. En Russie surtout, où l’on n’a jamais essayé d’appliquer aux juifs les principes du Christianisme, oserons-nous leur demander d’être plus chrétiens que nous-mêmes ? J’ai voulu seulement rappeler ce fait historique remarquable que le peuple appelé à donner au monde le Christianisme n’a accompli cette mission que malgré lui-même, qu’il persiste dans sa grande majorité et durant dix-huit siècles à rejeter l’idée divine qu’il a portée dans son sein et qui a été sa vraie raison d’être. Il n’est donc plus permis de dire que l’opinion publique d’une nation a toujours raison et qu’un peuple ne peut jamais méconnaître ou repousser sa vraie vocation.

Mais peut-être ce fait historique que j’invoque n’est-il lui-même qu’un préjugé religieux, et le lien fatal que l’on suppose entre les destinées du peuple d’Israël et le Christianisme n’est qu’une fantaisie subjective ? Je puis cependant produire une preuve extrêmement simple qui met en évidence le caractère réel et objectif du fait en question.

Si l’on prend notre Bible chrétienne, le recueil de livres qui commence par la Genèse et finit par l’Apocalypse, et si on l’examine en dehors de toute conviction religieuse, comme un simple monument historique et littéraire, on est forcé d’avouer que c’est là une œuvre complète et harmonieuse : la création du ciel et de la terre et la chute de l’humanité dans le premier Adam — au commencement, la restauration de l’humanité