Page:Soloviev - L'Idée russe.djvu/32

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dans une condition particulière qui doit rendre ce sacrifice plus complet et plus efficace. Il y a une loi morale élémentaire qui s’impose également aux individus et aux nations, et qui est exprimée dans cette parole de l’Évangile, qui nous commande, avant de sacrifier à l’autel, de faire la paix avec le frère qui a quelque chose contre nous. Le peuple russe a un frère qui a des griefs profonds contre lui, et il nous faut faire la paix avec ce peuple frère et ennemi, pour commencer le sacrifice de notre égoïsme national sur l’autel de l’Église universelle.

Ce n’est pas là une affaire de sentiment, quoique le sentiment aussi devrait avoir sa place dans tous rapports humains. Mais entre une politique sentimentale et une politique d’égoïsme et de violence, il y a un moyen terme : la politique de l’obligation morale ou de la justice. Je ne veux pas examiner ici les prétentions des Polonais à la restauration de leur ancien royaume, ni les objections que les Russes leur peuvent opposer à bon droit. Il ne s’agit pas de plans problématiques à réaliser, mais d’une iniquité manifeste et incontestable à laquelle il nous faut renoncer dans tous les cas. J’entends le système odieux de russification, qui n’a plus affaire à l’autonomie politique, mais qui s’attaque à l’existence nationale, à l’âme même du peuple polonais. Russifier la Pologne, cela veut dire tuer une nation qui a une conscience très développée de soi-même, qui a eu une histoire