Ce système oppressif, qui n’est pas appliqué à la Pologne seulement, tout mauvais qu’il est en lui-même, est rendu bien pire encore par la contradiction flagrante où il se trouve avec les idées généreuses d’émancipation et de protection désintéressée que la politique russe a toujours revendiquées pour elle. Cette politique est nécessairement imprégnée de fausseté et d’hypocrisie, qui lui enlèvent tout prestige, et rendent impossible tout succès durable. On ne peut pas impunément inscrire sur son étendard la liberté des peuples slaves et autres, tout en ôtant la liberté nationale aux Polonais, la liberté religieuse aux Uniates et aux dissidents russes, les droits civils aux Juifs.
Ce n’est pas dans cet état, la bouche muette, les yeux bandés et l’âme déchirée par des contradictions et des remords, que la Russie doit aller à son œuvre historique. Nous avons eu déjà deux graves leçons, deux avertissements sévères : à Sébastopol, premièrement ; et puis dans des circonstances plus significatives encore : à Berlin. Il ne faut pas attendre le troisième avertissement, qui serait peut-être le dernier. Se repentir de ses péchés historiques et satisfaire la justice ; abdiquer l’égoïsme national en renonçant à la politique de russification et en admettant, sans réserves, la liberté religieuse, — c’est le seul moyen, pour la Russie, de se préparer à la révélation et à la réalisation de sa vraie idée nationale qui — il ne faut pas l’oublier — n’est pas une idée abstraite ni une fatalité