Page:Solvay - La Fanfare du cœur, 1888.djvu/15

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acclamaient devint si grand que, emportés sans doute par l’ardeur de leur patriotisme et poussés de tous côtés par leurs voisins, — sauf par derrière, du côté de la colonne contre laquelle ils étaient appuyés, — ils rapprochèrent leurs visages et les lèvres de Gontran se rencontrèrent furtivement avec les lèvres de Mme Durasoir. Ce ne fut qu’un éclair, mais ce fut sans nul doute délicieux. Non, vous ne saurez jamais, Eustache, comme c’est bon, un baiser dérobé ainsi, en pleine foule, au nez et à la barbe de la nation, sans que personne s’aperçoive du larcin !

Comment ! Je ne le saurai jamais ! s’écria Eustache avec indignation… Je vous prie de croire que je le sais déjà.

— C’est une façon de parler… Je vous demande pardon. La fête terminée, chacun rentra chez soi. Ce fut, pendant trois jours, le sujet des conversations générales ; les journaux publièrent des comptes-rendus détaillés, et M. Durasoir fut enchanté, en les lisant, de la chance que sa chère petite femme avait eue d’assister à une si belle manifestation. Il regretta même un peu de n’y avoir pas assisté lui-même.

— « Après tout, pensait-il, j’aurais bien pu prendre un demi-jour de congé. »

Il faisait, à part lui, cette réflexion, lorsque, en passant devant la vitrine d’un opticien, il vit un assez grand nombre de badauds qui regardaient de grandes photographies qu’on venait d’y exposer. Ces photographies représentaient la fête de la Bourse surprise instantanément au moment de son plus vif éclat.

— « Voilà mon affaire », se dit-il.

Et il entra chez l’opticien. Il choisit la plus belle épreuve, la paya, et l’emporta chez lui, radieux.

— « Tiens, bobonne ! » dit-il à sa femme, « je t’ai rapporté un petit souvenir. »

Et il découvrit la photographie. Elle était magnifiquement réussie, d’une netteté et d’une précision étonnantes.

— « Oh ! que c’est joli ! » s’écria Mme Durasoir.

— « Je suis sûr », reprit il, « que tu y es aussi toi… Voyons. »

Mme Durasoir tressaillit. Son mari était allé chercher, dans un tiroir, une loupe et examinait de près les minuscules figures groupées, derrière la princesse, sur l’escalier du monument. Tout à coup, il pâlit affreusement… Il venait d’apercevoir, contre la première colonne à droite, en plein soleil, deux visages bien reconnaissables, rapprochés,