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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/129

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rôle secondaire. Ulysse récitait le prologue. Il expliquait entre autres choses qu’il n’avait accepté d’aller à Lemnos que sur l’injonction formelle d’Athéna qui, dans un rêve, lui avait promis de changer si bien les traits de son visage et le ton de sa voix, que son ennemi ne le reconnaîtrait point[1]. Ce qui ne l’empêchait pas, quand il voyait s’avancer vers lui, couvert de peaux de bête, le terrible archer, de rappeler ardemment à sa protectrice la promesse qu’elle lui avait faite. Et les choses se passaient sans dommage pour lui. Malgré tout, si Euripide corrigeait ici Eschyle, comme il l’a fait ailleurs, l’artifice dont il se servait n’était pas très heureux. Les métamorphoses sont permises dans l’épopée, où le merveilleux abonde ; au théâtre, qui s’inspire plus directement de la réalité, elles sont déplacées[2].

Sophocle agit tout autrement. Ulysse ne peut aborder Philoctète, puisqu’il y va de sa vie et qu’on ne tue pas dans un drame les gens au premier acte. Un personnage inattendu lui est donc adjoint, Néoptolème.

L’ordre des faits est interverti. Dans la Petite Iliade, le fils d’Achille, on l’a vu, n’arrivait à Troie qu’après que Philoctète y avait déjà débarqué. Ulysse allait chercher l’adolescent à Scyros, et quand ce dernier avait rejoint l’armée, il lui remettait les armes de son père. Ici, après avoir reçu ces armes, Néoptolème accompagne Ulysse pour ramener Philoctète de l’île de Lemnos. On avait dit au fils d’Achille, pour le décider à quitter son pays, que seul il prendrait la ville de Troie ; on ajoute maintenant qu’il lui faut l’aide de l’homme qui possède l’arc d’Héraclès[3]. Et, docile, il part le chercher avec Ulysse.

Voilà une des inventions heureuses de Sophocle.


    avait inspiré Bacchylide dans un de ses dithyrambes. Cf. schol. Pind. Pyth. I, 100, et Blass, Bacchyl. carmina, éd. II, p. 163.

  1. Dion, LIX, 3.
  2. Ajax, il est vrai, même à côté d’Ulysse ne le voit pas, parce qu’Athéna a obscurci ses yeux, (Ajax, 85 sqq.), mais il est fou et la scène est courte. Cf. Jebb, Introduction, p. XVI.
  3. Philoct. 114 sq., cf. 345 sqq.