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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/18

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ses exploits, nous ne pensons qu’à celle que nous voyons rester au foyer à l’attendre.

Il est vrai qu’ici la légende hésita. N’était-il pas possible de faire de Déjanire une compagne héroïque d’Héraclès, quelque nouvelle Amazone qui combattît à ses côtés ? On l’essaya. Le scholiaste d’Apollonios, nous raconte qu’arrivé chez les Dryopes avec Hyllos et Déjanire, Héraclès voyant les siens affamés demanda de la nourriture à leur roi Théiodamas. Comme on ne lui donnait rien, il se servit lui-même, prit un bœuf. Le roi se fâche, rassemble ses gens, entre en lutte. Héraclès en mauvaise posture arme lui-même Déjanire, qui combat à ses côtés, est blessée au sein, le sauve[1]. Cette femme était donc destinée à se dévouer pour Héraclès. Mais Sophocle a bien vu que sa place véritable était au foyer : ce qui ne supprimait pas son dévouement, bien au contraire.

La légende hésita encore sur un autre point. A la fin de la pièce, on est choqué qu’Hyllos épouse la femme que son père avait aimée. Sophocle a mélangé deux traditions[2]. On n’était pas d’accord sur le motif qui avait poussé Héraclès à détruire Œchalie : les uns disaient qu’il avait agi ainsi parce qu’il s’était épris d’Iole et que son père Eurytos la lui avait refusée. D’autres racontaient qu’arrivé à Œchalie Héraclès avait demandé Iole pour son fils, et comme le père n’y consentait pas, il avait pris la ville et la jeune fille[3]. Pour tout concilier, Sophocle dans la première partie des Trachiniennes suppose qu’Héraclès revendique Iole pour lui-même, et cela provoque la jalousie de Déjanire avec les suites fatales qui en résultent ; dans la seconde, Héraclès ordonne à Hyllos d’épouser Iole, et loin de sentir comme nous[4] qu’il ne peut pas donner cet ordre à

  1. Scholiaste d’Apollonios, I, 1212.
  2. Cf. Allègre, Sophocle, Etude sur les ressorts dramatiques de son théâtre et la composition de ses tragédies, p. 42 sq.
  3. Voir le scholiaste des Trachiniennes, 354, qui cite le témoignage de Phérécyde. Cf. Müller, Fragm. Hist. graec. I, p. 80, 34.
  4. Aussi les modernes, même les plus osés, ont-ils en des cas aussi