personne plus pieux que moi. Pourtant, bien que je sois né pour aspirer partout au succès, je fais une exception pour toi, Philoctète : cette fois-ci je te cède la place volontairement. Lâchez-le, laissez-le tranquille, qu’il reste ici. Nous pouvons bien nous passer de toi, puisque nous avons tes armes. Teucer, en effet, est parmi nous, qui sait se servir d’un arc[1] ; moi aussi, je crois manier ces objets-là et diriger une flèche aussi bien que toi[2]. Qu’avons-nous donc besoin de toi ? Adieu, continue d’arpenter la terre de Lemnos. Nous, partons. Et peut-être que cet arc qu’on t’a donné me procurera une gloire qui devait être à toi.
Philoctète. — Ah ! que vais-je faire, infortuné ! — (A Ulysse.) Ainsi tu vas te montrer, paré de mes armes, au milieu des Argiens ?
Ulysse. — Inutile de me rien répondre, je pars.
Philoctète. — (A Néoptolème.) Fils d’Achille, toi aussi, je ne t’entendrai plus m’adresser la parole ? Tu vas t’en aller ainsi ?
Ulysse. — (A Néoptolème.) Va-t-en. Ne le regarde pas, si généreux que tu sois, de peur de nous attirer quelque malheur.
Philoctète. — (Aux choreutes.) Est-ce que vous aussi, étrangers, vous allez me laisser dans cet abandon, sans avoir pitié de moi ?
Le Coryphée. — Ce jeune homme commande notre navire : tout ce qu’il te dira, nous te le disons aussi.
Néoptolème. — (Aux choreutes.) Je m’entendrai répéter par Ulysse que j’ai le cœur plein de compassion ; pourtant, restez, si Philoctète le désire, jusqu’à ce que les matelots aient appareillé et que nous ayons prié les dieux. Peut-être pendant ce temps concevra-t-il de meilleurs sentiments