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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/24

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l’ignore ; qu’il le raconte celui qui assista sans effroi à ce spectacle. Pour moi, j’étais assise toute transie d’angoisse ; j’appréhendais que ma beauté ne m’attirât quelque malheur. A la fin, Zeus, le dieu des luttes, donna aux choses une issue heureuse, si je puis la dire heureuse, car depuis que j’ai été unie avec Héraclès et qu’il m’a prise pour épouse, délivrée d’une crainte, toujours je nourris quelque autre crainte et me tourmente pour lui : la nuit m’apporte et la nuit m’enlève une inquiétude sans cesse renaissante. Sans doute, nous avons eu des enfants, mais il ne les voit jamais que comme le laboureur maître d’un champ éloigné, qui ne le visite qu’une fois au temps des semailles, qu’une fois au temps de la moisson. Telle est l’existence que mène mon époux au service d’un autre : il ne vient en sa demeure que pour la quitter. Aujourd’hui qu’il est sorti vainqueur de tous ces travaux, mes alarmes ne font que grandir. Depuis qu’il a tué Iphitos[1], chassés de notre pays, nous habitons en cette ville de Trachis, chez un hôte, et personne ne peut dire où est allé Héraclès. La seule chose que je sache, c’est que son éloignement me cause d’amères inquiétudes. Je suis presque sûre qu’il lui est arrivé quelque malheur, car voici déjà bien longtemps, dix mois ajoutés à cinq autres, qu’il est absent, sans envoyer aucun héraut. Quelque horrible chose est survenue : si inquiétantes sont ces tablettes laissées par lui et que je supplie souvent les dieux d’avoir reçues, sans qu’elles me soient fatales !

La Nourrice. — Déjanire, ma maîtresse, maintes fois

  1. Iplitos était fils d’Eurytos, roi d’Œchialie, en Eubée. (Cf. v. 74. Dans l'Iliade, II, 696, Œchalie est en Thessalie.) Héraclès habitait à Tirynthe, quand il alla chez Eurytos, où il s’éprit de sa fille Iole. Repoussé, insulté, chassé par Eurytos, il quitta Œchalie et quelque temps après, comme Iphitos était son hôte à Tirynthe, ce que Lichas se garde bien de dire, il le tua par ruse, comme il est raconté v. 270 sqq. C’est alors qu’il s’exila de Tirynthe pour aller à Trachis. L’hôte qui l’accueillit, et qui n’est pas nommé dans la pièce, était Céyx. (Cf. Hésiode, Bouclier, 353 sq.) Héraclès, ou plutôt Déjanire habite donc dans le palais de ce roi depuis quinze mois. Pendant ce temps Héra-