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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/302

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ma colère et où il m’était si doux de mourir et d’être lapidé[1], personne n’est apparu qui m’aidât dans mon ardeur. Avec le temps, quand ma douleur tout entière eut perdu de son âpreté, quand je commençais à comprendre que ma colère, en son emportement, m’avait trop cruellement puni de mes fautes antérieures[2], c’est alors que la cité par force me chassa de son territoire, après des années. Mes fils cependant, ces êtres nés de leur père qui pouvaient à leur père porter secours, ont refusé de le faire et, quand ils n’avaient qu’une parole à dire, ils m’ont voué pour toujours à l’exil et à la pauvreté. Ces deux filles, ces deux vierges, emploient toutes les forces que la nature leur donne, à me procurer de la nourriture, un asile sûr, les soins de la piété filiale. Eux, au contraire, ils ont supplanté leur père pour être les maîtres du trône, du sceptre, et pour régner sur le pays. Non, ils ne risquent pas de m’avoir pour allié ; jamais ils ne jouiront du pouvoir à Thèbes. Cela, je le sais, parce que je connais les oracles d’Ismène et que je compare en mon esprit les anciennes prédictions que Phœbos avait faites autrefois sur moi et qu’il a réalisées un jour. Aussi, qu’ils envoient pour me chercher Créon ou tout autre citoyen puissant dans la cité ; car, si vous consentez, étrangers, en même temps que ces divinités terribles qui protègent votre dème, à prendre en main ma défense, vous assurerez un puissant sauveur à ce pays et le malheur à mes ennemis.


    avec l’empressement qu’Ismène a mis à porter ces nouvelles à son père et avec la joie qu’elle a eue à le retrouver.

  1. Il rappelle la fin de l’O. R. 1410 sqq., quand affolé par les crimes monstrueux qu’il avait commis, il conviait passionnément ceux qui l’entouraient à le tuer, à le jeter à la mer, à le dérober à la lumière du jour. — Mais il ne songeait pas alors à la lapidation : c’était le genre de mort réservé, à l’époque héroïque, aux criminels dont se débarrassait la foule. « Si les Troyens n’étaient pas si craintifs, ils t’auraient déjà enveloppé d’un vêtement de pierre, » dit Hector, Il. III, 56 sq., au ravisseur d’Hélène, et dans l’Ajax, v. 253, après que son maître a massacré les troupeaux, le chœur appréhende d’être lapidé avec lui par la foule des soldats.
  2. La mutilation qu’il s’est fait subir lui semble maintenant exces-