Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/430

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des bêtes ! En toute ombre vous voyez un sujet d’effroi et vous vous épouvantez de tout ; serviteurs sans nerfs, négligents et vils, vous n’avez à montrer qu’un corps sans âme, qu’une langue, qu’un phallos ! Quand il faut agir, avec vos belles promesses, vous tournez le dos à l’ouvrage. Pourtant, ô les plus lâches des bêtes, vous m’avez pour père, moi dont les nombreux exploits, accomplis au temps de ma jeunesse, sont attestés par tant de monuments élevés dans les demeures des Nymphes, moi qu’on ne vit jamais fuir, ni trembler, ni se blottir de peur aux meuglements des troupeaux montagnards[1]. Au contraire, je menais tout à bien de haute lutte ! Et maintenant cette gloire éclatante est salie par vous, à cause d’un bruit inattendu, de je ne sais quelle mauvaise plaisanterie[2] de bergers. Pourquoi donc avez-vous peur, comme des enfants, avant de rien voir, et pourquoi lâchez-vous cette richesse, cet or que Phœbos vous a promis, qu’il a fait miroiter devant vous et la liberté qu’il vous a accordée à vous comme à moi ? Vous abandonnez tout cela et vous vous assoupissez lâchement ! Si vous ne revenez point sur vos pas, si vous ne suivez pas jusqu’au bout la trace des génisses, où elles sont allées, elles et leur bouvier, votre couardise vous fera verser des larmes bruyantes.

Le Coryphée. — (Suppliant.) Père, reste auprès de moi, sers-moi de guide : tu verras bien s’il y a en moi quelque lâcheté. Tu reconnaîtras toi-même, si tu te tiens à mes côtés, que ce que tu dis ne signifie rien.

  1. Comme dans le Cyclope 2 sqq., Silène se vante des hauts faits de sa jeunesse, mais tandis que dans Euripide il prétend avoir tué à coups de lance le géant Encélade, ce qui était un exploit d’Athéna, dans Sophocle il est moins fanfaron, et il n’a pas tort, puisqu’il va bientôt donner une preuve significative de sa bravoure, en quittant lâchement la scène, épouvanté par les sons de la lyre.
  2. Le sens du mot ϰόλαξ est obscur : je suis l’interprétation adoptée par Hunt, d’après Moeris, p. 113 : γόης Ἀττιϰοὶ, ϰόλαξ Ἕλληνες (Cf. Walker, p. 89 sqq.) Silène a entendu un bruit étrange, quelque pipeau rustique, croit-il instinctivement, qui n’a pas un son ordinaire : il y a quelqu’un qui se moque de lui et veut leur faire peur ; son mauvais tour ne réussira pas.