Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/109

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Comment le lit paternel, conjugal
Souffrit-il si longtemps cet horrible hyménée[1] !
Le temps seul dévoila ton inceste fatal ;
À d’éternels tourments ta vie est condamnée !!!

Fils de Laïus, pourquoi suis-je témoin des maux
D’un roi qui m’a rendu la vie et le repos ?
Ma voix gémissante et mes larmes
Seules expriment mes alarmes,
Le trouble extrême de mon cœur,
Ma vive et profonde douleur[2] !

  1. Nous avons rendu presque littéralement une des plus grandes beautés de Sophocle. Comment les sillons paternels, poétiquement pour le lit conjugal de son père, a-t-il pu ?... etc. Brumoy traduit : « Grand roi, comment êtes-vous devenu le rival de votre père ? » Dacier dit : « Comment est-il possible que le même lit vous ait reçus tant d’années sans vous reconnaître ? » Il a cru, dit-il, devoir adoucir Sophocle.
    Sa pensée est si belle et si naturelle, qu’elle semble facile à rendre en français, à peu près telle qu’elle est dans le grec. Cependant ces sortes de versions ou d’imitations ne semblent faciles, comme celles de Racine, que quand on les lit toutes faites : il parait alors qu’il n’y a rien de plus simple et de plus naturel, que cela doit être ainsi rendu et non autrement. Voyez cependant tous les traducteurs, même les plus libres, c’est-à-dire les interprètes prosateurs !
    Rien ne ressemble plus a ces beaux vers de la Phèdre de Racine :
    Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes,
    Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes,
    Vont prendre la parole et prêts à m’accuser
    Attendent mon époux pour le désabuser.
    En traduisant Sophocle, en nous identifiant avec toutes ses beautés, nous nous sommes dit à chaque page : Voilà certes le secret de Racine découvert ! tout ce qu’il a de plus beau est traduit ou imité du grec dont il avait la connaissance la plus approfondie. M. Gachard nous a dit en avoir vu des
    preuves très-curieuses à Toulouse : des exemplaires de Sophocle et des tragiques grecs tout annotés de la main de celui dont Boileau dit admirablement :
    Il sut ressusciter Sophocle en ses écrits.
  2. L’idée est belle et grande ! La souillure du trône consterne un peuple qui ne peut vivre qu’à l‘abri de la justice, de la vérité et de la pureté. Thèbes souffre, gémit profondément et périt en quelque sorte avec son infortuné monarque.