Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/148

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Verront-ils sans pitié finir nos tristes jours ?
Ces maîtres des humains sont-ils muets et sourds ?

LE GR. PRÊTRE.
Les Thébains de Laïus n’ont point vengé la cendre ;

Le meurtrier du roi respire en ces États,
Et de son souffle impur infecte vos climats.
Il faut qu’on le connaisse, il faut qu’on le punisse ;
Peuple, votre salut dépend de son supplice.

ŒDIPE.
Thébains, je l’avouerai, vous souffrez justement

D’un crime inexcusable un rude châtiment.
Laïus vous était cher, et votre négligence
De ses mânes sacrés a trahi la vengeance…
Aussi du ciel vengeur implorant le courroux,
Le sang de votre roi s’élève contre vous.
Apaisons son murmure, et qu’au lieu d’hécatombe,
Le sang du meurtrier soit versé sur sa tombe.
Quoi ! de la mort du roi n’a-t-on pas des témoins ?
À chercher le coupable appliquons tous nos soins.
Et n’a-t-on jamais pu, parmi tant de prodiges,
De ce crime impuni retrouver les vestiges ?
On m’avait toujours dit que ce fut un Thébain
Qui leva sur son prince une coupable main.

JOCASTE.
Le Sphinx bientôt après désola cette rive ;

À ses seules fureurs Thèbes fut attentive ;
Et l’on ne pouvait guère, en un pareil effroi,
Venger la mort d’autrui, quand on tremblait pour soi.

ŒDIPE.
Moi-même devant vous je veux l’interroger (Phorbas),

J’ai tout mon peuple ensemble et Laïus à venger.
Il faut tout écouter ; il faut d’un œil sévère
Souder la profondeur de ce triste mystère.
Et vous, Dieux des Thébains, Dieux qui nous exaucez,
Punissez l’assassin, vous qui le connaissez !
Soleil, cache à ses yeux le jour qui nous éclaire !
Qu’en horreur à ses fils, exécrable a sa mère,
Errant, abandonné, proscrit dans l’univers,
Il rassemble sur lui tous les maux des enfers ;
Et que son corps sanglant, privé de sépulture,
Des vautours dévorants devienne la pâture !

LE GR. PRÊTRE.
À ces serments affreux nous nous unissons tous.


ACTE III. — SCÈNE IV.
ŒDIPE.
Eh bien ! les Dieux touchés des vœux qu’on leur adresse

Suspendent-ils en fin leur fureur vengeresse ?
Quelle main parricide a pu les offenser ?

PHORBAS.
Parlez, quel est le sang que nous devons verser ?


LE GR. PRÊTRE.
Fatal présent du ciel ! science malheureuse !

Qu’aux mortels curieux vous êtes dangereuse !
Plût aux cruels destins qui pour moi sont ouverts,
Que d’un voile éternel mes yeux fussent couverts !

ŒDIPE.
Les Dieux veulent-ils mon trépas ?


LE GR. PRÊTRE.
Ah ! si vous m’en croyez, ne m’interrogez-pas.


ŒDIPE.
Quel que soit le destin que le ciel nous annonce,

Le salut des Thébains dépend de sa réponse.