Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/20

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tures animées, des détails touchants, qui ont échappé au premier. Le Français de vingt-quatre ans termine par un trait éminemment tragique et qui frappe de terreur :

...........Vous frémissez, madame !

et l’on ne peut le nier, il a su embellir admirablement ce qu’il a emprunté au plus sublime tragique grec, qui n’a pas été toujours aussi attentif à saisir partout les mouvements de la nature, mal gré son tour d’esprit si propre à la vraie tragédie. En général, tout le rôle d’Œdipe dans la pièce moderne paraît dessiné avec plus d’âme, de noblesse, d’énergie et d’intérêt que dans les quatre premiers actes de la pièce grecque. Le poète français a aussi l’avantage dans l’art d’orner et de relever les détails, quoique l’on ne puisse guère blâmer Sophocle de l’extrême simplicité de son dialogue. Celui-là relève souvent par des accessoires bien choisis ce que celui ci a quelquefois de simplicité un peu trop nue. On a pour exemple l’endroit où Œdipe interroge Jocaste sur des faits qui peuvent l’éclairer. Voltaire, en donnant plus d’agrément et un tour plus heureux aux petits détails, leur donne plus d’intérêt, sans nuire pourtant à la vérité, par ces ornements placés à propos. Il a mis aussi dans le portrait de Laïus, un peu plus de ces particularités frappantes qui sont si favorables à l’expression poétique. On voit dans l’imitation certaines nuances délicates qu’on n’aperçoit point dans le modèle. Au reste, dans l’Œdipe de Voltaire, la 1re scène du IVe acte, celle du grand prêtre qui accuse le roi et la scène des deux vieillards, appartiennent entièrement à Sophocle auquel d’ailleurs le tragique français doit tant de grandes beautés, outre l’idée et l’entreprise de sa pièce, dont il ne serait jamais venu à bout sans le tragique grec, comme il nous l’avoue lui-même, dans une de ces lettres sur Œdipe qui renferment, soit dit en passant, la meilleure critique qu’on ait encore faite de sa pièce.

En dernière analyse, ou peut dire que toutes les convenances, qui ont trait aux personnages et aux diverses situations dramatiques, sont bien plus sensibles et bien plus fréquentes chez_les bons tragiques modernes que chez les Grecs, leurs maîtres en l’art dramatique. Nous ajouterons cependant à cette réflexion, que Voltaire a peut-être mieux fait que Sophocle, en développant par degrés toutes les horreurs de la destinée d’Œdipe et en ne le montrant incestueux et parricide qu’à la fin de sa pièce.