Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/74

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ŒDIPE.
Je vais te l’avouer, pour ne point te déplaire :

Les complots de Créon ont causé ma colère.

JOCASTE.
Mais sur quoi fondes-tu cette accusation ?


ŒDIPE.
J’ai fait périr Laïus, si l’on en croit Créon.


JOCASTE.
Le dit-il comme instruit de ce fait par lui-même

Ou par quelque témoin ?

ŒDIPE.
O perfidie extrême !

Un devin insolent par lui fut suborné
Pour aigrir contre moi mon peuple consterné[1].

JOCASTE.
Laisse un moment les soins qui tourmentent ton âme ;

Écoute-moi, seigneur, oui, crois-en une femme :
La divination est un art des plus vains ;
Méprise les discours de ces fourbes devins ;
Je vais de leurs erreurs te citer un exemple :
Un oracle à Laïus fut rendu dans le temple
D’Apollon et par l’un des ministres du Dieu.
Cet oracle annonçait que sa mort aurait lieu
Par la main de son fils. Et Laïus, au contraire,
Par des brigands auxquels il ne put se soustraire,
Dans un triple chemin mourut assassiné.
Je mis au jour ce fils, à cent maux destiné,
Ce fils qu’à mon époux fit redouter l’augure ;
Trois jours après, malgré le cri de la nature,

  1. M. Clipet traduit assez hardiment ici : Il a déchaîné contre moi un devin, artisan de fraude, dont la langue ne connaît pas de frein (qui tient libres toutes ses paroles). Selon M. Artaud, cela veut dire qu’il reste sur ce point dans une entière réserve.