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NOTICE
SUR L’ŒDIPE ROI.




L’Œdipe Roi est la plus belle pièce de Sophocle et le chef-d’œuvre de l’art dramatique chez les Grecs, comme l’Œdipe à Colone est la première pour l’élévation de la poésie et pour la pureté des idées morales. Nulle part la puissance du Destin, telle que les anciens la concevaient, n’apparaît sous un jour plus redoutable. Un homme est conduit irrésistiblement, par la seule fatalité qui s’attache à sa race, à commettre les crimes les plus effroyables et les plus inouïs, à tuer son père, à devenir l’époux de sa mère, et cela, sans cesser d’avoir le cœur pur et d’être innocent d’intention : tous ces crimes sont involontaires, il les commet sans le savoir. D’anciennes prédictions annoncent ces événements funestes, mais en apparence, ils ont été démentis par le fait. Cependant, à la fin, ces oracles se trouvent vérifiés, les inévitables arrêts du Destin sont accomplis dans toutes leurs terribles menaces.

C’est ici le lieu de remarquer le rôle important que jouent les oracles dans toutes les tragédies de Sophocle ; presque partout ils sont le principal ressort de l’action. Ici une peste cruelle ravage la ville de Thèbes ; Œdipe envoie au temple de Delphes consulter l’oracle sur les moyens de la faire cesser ; le dieu répond par l’ordre de chercher le meurtrier de Laïus, qui se cache dans la ville, et de l’en bannir ou de le mettre à mort. De là naissent, comme autant de conséquences, et les imprécations d’Œdipe, qui doivent retomber sur lui-même, et les révélations successives, qui amènent la catastrophe.

Œdipe lui-même est sous le coup des oracles qui ont présidé à sa naissance, et qui planent sur la destinée de toute sa race. Du reste, cet Œdipe, sur lequel le destin épuise ses rigueurs, est bon, humain, compatissant ; il sympathise avec les souffrances de son peuple, son premier vœu est de soulager ses misères ; et cependant le poète ne l’a pas montré tout à fait irréprochable, il lui a donné des défauts attachés à la puissance et au génie : il est présomptueux, irritable, la prospérité a grandi sa foi en lui-même, l’exercice du souverain pouvoir l’a rendu fier et impérieux. C’est bien le représentant de l’humanité, avec sa confiance sans bornes en sa propre raison : une fois engagé dans une voie, rien ne saurait le faire reculer ; dès la première lueur jetée sur son obscure destinée,