Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/178

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LE CHŒUR.

Il l’a dit, il est vrai ; mais j’ignore sur quelles preuves.

CRÉON.

Est-ce d’un regard assuré et de sang-froid qu’il a lancé contre moi cette accusation ?

LE CHŒUR.

Je ne sais ; car je n’examine point les actions des rois. Mais le voici lui-même qui sort de son palais.



ŒDIPE.

Eh quoi ! comment oses-tu paraître en ces lieux ? As-tu assez d’audace et d’impudence pour venir dans mon palais, toi qui veux m’égorger moi-même au grand jour, et me voler[1] ouvertement mon trône ? Dis-moi donc, au nom des dieux, pour machiner ce complot, as-tu remarqué en moi de la lâcheté ou de la démence ? Ou te flattais-tu que je ne découvrirais pas ton intrigue, ourdie par la ruse, ou qu’après l’avoir découverte, je ne t’en punirais pas ? N’est-ce pas de ta part une entreprise insensée, de vouloir, sans amis et sans l’appui du peuple, usurper un trône, qui ne s’obtient que par la richesse et par l’appui du peuple ?

CRÉON.

Sais-tu ce qu’il faut faire ? Laisse-moi répondre à tes accusations ; puis, une fois éclairé, juge toi-même.

ŒDIPE.

Tu es habile à parler ; mais je suis peu disposé à t’entendre, car je t’ai trouvé trop malveillant et trop hostile envers moi.

  1. Ληστής τῆς ἐμῆς τυραννίδος, « brigand de mon pouvoir suprême. » — Corneille et Racine ont transporté hardiment le mot voler dans le style tragique. Nicomède, acte I, sc. 2 :
    Et loin de lui voler son bien en son absence.
    Iphigénie,acte I, sc. 3 :
    Et si quelque insolent lui volait sa conquête.