Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/404

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que ce voyage ne soit pour toi un sujet de douleur ; voilà ce qui me tourmente depuis longtemps.

PHILOCTÈTE.

Que dis-tu donc, mon fils ? car je ne te comprends pas.

NÉOPTOLÈME.

Je ne te cacherai rien : il faut que tu me suives devant Troie, chez les Grecs, au camp des Atrides.

PHILOCTÈTE.

Malheur à moi ! qu’as-tu dit ?

NÉOPTOLÈME.

Ne te lamente pas, avant de savoir les faits.

PHILOCTÈTE.

Savoir quoi ? Que veux-tu donc faire de moi ?

NÉOPTOLÈME.

Te guérir d’abord, et ensuite ravager avec toi les plaines de Troie.

PHILOCTÈTE.

Et voilà vraiment ce que tu prétends faire ?

NÉOPTOLÈME.

C’est une impérieuse nécessité qui nous domine ; toi, ne t’irrite pas de mes paroles.

PHILOCTÈTE.

Ah ! malheureux ! je suis perdu, je suis trahi ! Étranger, comment m’as-tu traité ? Rends-moi mes flèches à l’instant.

NÉOPTOLÈME.

Mais ce n’est pas possible ; les chefs ordonnent, le devoir et l’intérêt commun me forcent d’obéir.

PHILOCTÈTE.

Être cruel et malfaisant[1] ! lâche artisan du plus noir artifice ! Comme tu m’as traité ! comme tu m’as trompé ! Ne rougis-tu pas en me regardant, moi qui t’ai imploré,

  1. La première exclamation de Philoctète est celle-ci : « ὢ πῦρ, » c’est-à-dire O feu ! Le scholiaste prétend que le poète joue ici sur la première syllabe du nom de Pyrrhus. Des jeux de mots aussi mauvais ne sont pas sans exemple dans Sophocle, témoin l’étymologie du nom d’Ajax, mais il est à remarquer que Néoptolème n’est jamais désigné dans la pièce sous le nom de Pyrrhus.