Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/43

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une grêle de pierres[1], et de partager le supplice de celui que poursuit une destinée indomptable.

TECMESSE[2].

Elle cesse de le poursuivre ; sa fureur s’est calmée, comme l’impétueux Notos, quand il s’élève sans éclairs étincelants. Mais le retour de sa raison lui rend de nouvelles douleurs ; la vue de nos propres souffrances, quand nous en sommes les seuls auteurs[3], éveille en nous de cuisantes douleurs.

LE CHŒUR.

Mais si son délire a cessé, j’espère que tout va bien ; car on tient moins de compte d’un mal passé.

TECMESSE.

Que préférerais-tu, si tu avais le choix, ou d’éprouver toi-même quelque plaisir en affligeant tes amis, ou de partager leur douleur commune ?

LE CHŒUR.

La double souffrance, ô femme, est un grand mal.

TECMESSE.

Eh bien, le mal a cessé, et nous n’en sommes pas moins livrés au malheur.

LE CHŒUR.

Que veux-tu dire ? je ne te comprends pas.

TECMESSE.

Cet infortuné, tant qu’a duré son délire, se complaisait dans le mal qui le possédait ; et n’attristait que nous, qui en étions témoins, dans notre bon sens ; mais maintenant que le mal a cessé et le laisse respirer, il est tout entier en proie à l’affliction, et la nôtre n’en est pas moins vive qu’auparavant. N’est-ce pas là une souffrance double[4] ?

  1. Le supplice de la lapidation, dont Homère dit (Iliade, III, v. 57) :
    Λάϊνον ἕσσο χιτῶνα.
  2. Ici, Tecmesse vient d’entr’ouvrir la tente d’Ajax, et de le voir plus calme, mais profondément attristé.
  3. Littéralement : « auxquelles nul autre n’a pris part. »
  4. Le texte ajoute : « de simple qu’elle était. »