Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/65

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toi. Où est-il, où donc est-il ce guerrier indomptable, cet Ajax dont le nom est si funeste[1] ?

TECMESSE.

Vous ne le verrez point ; je l’envelopperai tout entier des longs plis de ce voile ; car nul, pas même un ami, ne pourrait soutenir la vue de ces flots de sang noir, qui sortent de ses narines et de la plaie saignante dont il s’est frappé. Hélas ! que faire ? quel ami enlèvera son corps ? Où est Teucer ? s’il arrivait, qu’il viendrait à propos, pour rendre avec nous à son frère mort les derniers devoirs ! O malheureux Ajax ! quel sort indigne de ta gloire ! car pour tes ennemis même tu es un objet digne de larmes.

LE CHŒUR.

(Antistrophe.) Ton cœur inflexible méditait donc depuis longtemps de terminer ainsi la destinée funeste de tes malheurs infinis. Tels étaient nuit et jour les gémissements qui s’échappaient de ton cœur implacable, exhalant avec une violente passion des menaces terribles contre les Atrides. Il ouvrit certes une grande source de maux, ce jour où les armes d’Achille furent proposées pour prix de la valeur.

TECMESSE.

Hélas ! malheureuse !

LE CHŒUR.

Une douleur poignante déchire ton cœur, je le sais.

TECMESSE.

Hélas !

LE CHŒUR.

Je ne m’étonne point que tes gémissements redoublent, ô femme, quand tu viens de perdre un tel ami.

TECMESSE.

Tu peux, il est vrai, comprendre mon malheur, mais moi seule j’en connais l’étendue.

  1. Voir plus haut la note sur le vers 430.