Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/177

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pelle dix ou douze faquins en manteaux de peluche, dont il n’avoit aucune connoissance, et ne refusa pas même la porte à leurs valets, mais à moi, qui les voulois suivre. Que je vous dise un mot, mon père, lui criai-je par les barreaux. Puis, quand il se fut rapproché, je continuai ainsi : Je ne suis pas venu ici pour vous admonester, aussi n’en suis-je pas capable ; néanmoins je prends la hardiesse de vous dire ce que je sçais, qui est que votre église doit être l’image de la maison céleste de notre grand Dieu, et que vous deviez y laisser prendre la meilleure place aux plus pauvres, ainsi qu’il est fait dedans cette heureuse demeure. Bien, bien, poursuivis-je en souriant, quand je désirerai entrer dedans vos chapelles pour y mieux entretenir ma dévotion que dans ce lieu-ci, j’apporterai un manteau doublé de peluche, en dussé-je louer un à la friperie. Le religieux eut de la honte, à n’en point mentir, et, parce qu’il me quitta bientôt, il n’eût pas entendu tout mon discours si je n’eusse haussé ma voix sur la fin ; mais cela se tourna à sa confusion : car plusieurs personnes d’alentour m’ouïrent aussi, et je connus, par leurs risées, qu’ils autorisoient mes paroles et se moquoient de celui qui gardoit si mal les règles de son ordre, ne chérissant pas la pauvreté : ce qu’il y avoit à dire contre moi, c’est seulement que je n’étois pas un pauvre volontaire. Néanmoins le religieux avoit commis un péché qu’il ne pouvoit amender que par une très-austère pénitence.

Considérez encore un malheur plus grand : ceux qui sçavoient de quelle maison je suis sorti ne me traitoient pas plus respectueusement. De petits coquins, enfants de bourgeois, que j’avois connus au collège, tenus bien souvent sous ma loi, en me rencontrant par la ville, ne faisoient pas semblant de m’avoir fréquenté autrefois ; et si, par une humiliation très-grande, je les saluois pour renouveler les connoissances anciennes, ils ne faisoient que porter la main auprès de leur chapeau ; encore croyoient-ils avoir fait une corvée, tant ils étoient présomptueux de se voir couverts de soie et d’avoir des valets mieux vêtus que je n’étois moi-même. J’en allai visiter quelques-uns qui me sembloient les plus accostables et avec qui j’avois été le plus familier. Pour dire la vérité, ils me firent dans leur logis un assez bon accueil, y étant contraints par les règles de la courtoisie ; mais pourtant ils ne