Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/179

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sion s’enflammoit davantage, j’étois si fol, que je prenois quelque sorte de plaisir à passer tous les soirs devant sa porte, encore que ce me fût une chose la plus inutile du monde.

En ce temps-là, si j’eusse voulu me mêler du métier de certains fripons d’écoliers de ville que je connoissois depuis peu, il m’eût été facile de me vêtir à peu de frais, car toutes les nuits ils ne faisoient que dérober des manteaux en quelque rue écartée ; mais jamais je ne me pus résoudre à rabaisser mon courage jusqu’à faire des actions si infâmes. J’aimois mieux l’accointance de certains philosophes, qui me promettoient des montagnes d’or par une voie licite et honorable. Toutefois, à la fin, je laissai leur conversation, d’autant que je connus que c’étoient des vendeurs de fumée qui déjà s’ennuyoient aussi de communiquer avec moi, à cause que, n’ayant rien à perdre, leurs tromperies étoient inutiles à mon endroit. Au commencement, j’avois été pour le moins aussi fin qu’eux, et leur faisois espérer qu’il me viendroit bientôt une notable somme d’argent de mon pays, dont je les assisterois pour acheter ce qui étoit nécessaire en leurs opérations ; je les invitai à m’apprendre beaucoup de secrets de la magie naturelle, desquels je me suis déjà servi en plusieurs occasions : voilà le profit que j’eus de les avoir fréquentés.

Après, je m’adonnai à une autre étude. Ce fut à celle de la poésie françoise, qui eut pour moi des appâts dont je ne cesserai jamais d’être enchanté. Mon entretien ordinaire fut de composer des vers sur la haine que je portois à la malice du siècle, et sur l’amour que j’avois pour la gentille Diane. Mais, mon Dieu, quels ouvrages c’étoient au prix de ceux que je pourrois maintenant faire ! Tout étoit à la mode du collége, et il n’y avoit ni politesse ni jugement ; aussi je jurerois bien que je n’avois lu encore pas une bonne pièce, et les auteurs dont je pouvois apprendre quelque chose m’avoient été inconnus, autant par ma négligence qu’autrement ; de sorte que ce que je faisois n’étoit pas moins à admirer que ce qu’ont fait les vieux chantres de Grèce dans les œuvres desquels nous trouvons tant de remarquables fautes, à cause que tout venoit de leur veine, qu’ils n’avoient rien à se proposer pour patron, et qu’une chose ne peut en même temps être inventée et rendue parfaite.