Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/211

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qu’il ne lui ait été offert en contre-échange celui dont vous désirez que mon père eût la communication. Ce jeune homme, ne sçachant pas ce qu’elle vouloit dire, crut qu’elle avoit envie de lui donner quelque cassade[1], et nia surtout d’avoir mis des lettres entre les mains de son laquais pour faire tenir à une maîtresse. Diane lui ayant montré là-dessus ce qu’elle avoit reçu, et lui ayant conté la façon avec laquelle son laquais le lui avoit baillé, il jugea que cela venoit de la part de quelqu’un qui étoit secrètement amoureux d’elle ; et, voyant qu’elle croyoit fermement que tout venoit de lui, parce qu’elle lui plaisoit assez pour souhaiter sa bienveillance, il s’informa premièrement d’elle si la lettre et les vers lui étoient agréables ; puis, ayant connu qu’elle n’y trouvoit rien qui ne lui causât quelque espèce de contentement, il lui dit qu’il ne lui pouvoit plus celer que c’étoit lui qui les lui avoit envoyés, d’autant qu’il falloit qu’elle le sçût nécessairement, pour connoître quel étoit le désir qu’il avoit de la servir. Même il eut bien l’esprit assez bon pour lui assurer qu’afin qu’elle ne fît point de refus de recevoir ce présent, il avoit trouvé l’invention de lui faire dire par son laquais que les papiers étoient de conséquence et concernoient une affaire que son père manioit pour lui. Mais, bien qu’elle crût cela, elle ne laissa pas de persister toujours à lui dire, comme auparavant, que son laquais s’étoit trompé, et qu’il avoit charge sans doute de porter le paquet à une autre fille qu’elle. Depuis, il sçut de ce valet la commission que je lui avois donnée, et continua néanmoins à persuader de telle sorte à Diane qu’il avoit composé les vers pour son sujet, qu’elle fut forcée d’avouer qu’elle ajoutoit de la croyance à son dire ; et, parce que les beaux esprits lui plaisoient beaucoup, s’imaginant que celui-là en avoit un très-beau, elle commença de le chérir par-dessus tous ses amans.

J’avois fait encore un bon nombre de vers pour elle, et, rencontrant dans la rue sa servante, comme on ne voyoit goutte, je lui dis : Ma mie, donnez cette chanson à mademoiselle Diane, je la lui promis l’autre jour : recommandez-moi bien à ses bonnes grâces. La servante ne fit point de difficulté de prendre le papier ni de le porter à Diane, qui ne pouvoit quasi croire qu’il vînt de la part d’où elle pensoit que

  1. Bourde imaginée pour se défaire d’un fâcheux.