Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/310

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beau corps tout nu, commanda à tous les autres de venir boire au bas de la raie, comme en un ruisseau. Éloignons-nous d’un entretien que l’on estime si sale, et imaginons-nous seulement, pour ne rien retrancher de la bonne réputation de nos braves chevaliers, qu’ils se contentèrent de dire beaucoup de petites joyeusetés sur ces mignardes fesses, et que l’un les appeloit les princesses et les reines de toutes les autres, et l’autre souhaitoit qu’elles ne fussent jamais contraintes de s’asseoir que sur des oreillers bien doux, et non point sur des orties. Par notre modestie, nous éviterons en quelque sorte la haine des esprits scrupuleux ; aussi ne crois-je pas que toutes les joyeusetés qui sont ici les doivent offenser, car, la plupart de cette histoire n’étant faite que pour rire, l’on peut avoir la licence de raconter quelques plaisantes aventures qui sont arrivées à des personnes de mauvaise vie, puisqu’il nous est bien permis de prendre du plaisir à leurs dépens. Au reste, toutes ces débauches sont très-véritables, et je les donne pour telles, de sorte que l’on ne me blâmera point de les avoir récitées ; car ceux qui ont fait un dessein particulier de les condamner, par un style sérieux, n’en racontent pas moins, et je sçais bien que je ne mets point ici des discours qui ne soient plutôt capables de les faire haïr que de les faire aimer, car je proteste que je n’approuve aucunement les actions qui sont contraires à la vertu. C’est pourquoi il faut achever notre histoire sans crainte.

Disons donc qu’après que nos drôles se furent bien donné du passe-temps de cette femme, qui ne se vouloit pas montrer, ils voulurent entrer dans la chambre où étoient les autres ; mais elles n’ouvrirent pas leurs portes. Voilà pourquoi l’on ne put voir celles qui restoient, pour sçavoir laquelle c’étoit d’entre elles qui étoit là. Ils s’en retournèrent donc tous sans en avoir rien sçu apprendre. Francion, retrouvant Collinet, demanda à Raymond par quelle aventure il étoit venu en son château. Ce sont vos gens qui l’ont amené ici du village où vous les aviez laissés, et d’où je les ai envoyé querir, répondit Raymond. Si est-ce qu’il ne partit pas de Paris avec moi, répliqua Francion. Alors, ses gens étant venus pour le saluer, il apprit d’eux que ce fol, étant privé de sa vue, qu’il chérissoit davantage que celle de Clérante, avoit tant fait qu’il avoit sçu le chemin qu’il avoit pris en sortant de Pa-