Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/359

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lère à baguette, et croyoit qu’encore qu’il eût pris la peine de l’accompagner elle pouvoit jouir d’une franchise de femme et donner librement à un autre la place qu’il espéroit en ses bonnes grâces.

Comme elle étoit sur ces pensées, un courrier lui apporta une lettre, qu’elle décacheta, et connut qu’elle venoit de la part de Dorini. Madame, lui dit le courrier avant qu’elle eût eu le loisir de la lire, ne vous étonnez pas de quoi l’on a pris la peine de vous envoyer ici d’Italie une lettre qui vient de la France même, car l’on a tellement assuré qu’il y a des nouvelles qui vous importoient de beaucoup, que l’on a cru qu’il ne falloit pas manquer à vous les faire voir vitement, craignant que vous n’en fussiez pas • avertie ici, combien que vous soyez plus près de Dorini que vous ne seriez en votre pays. Quand il eut dit cela, elle jeta les yeux sur la lettre, où elle lut que son cher amant étoit mort. Il falloit véritablement que ses esprits eussent alors une force extrême, pour ne recevoir point de l’affoiblissement et ne la point laisser évanouir.

Ce qui servit beaucoup à lui faire passer son angoisse fut qu’un laquais de Francion lui vint dire que Floriandre, ayant sçu qu’elle étoit en ce village, désiroit avoir le bonheur de la voir et avoit envie de sçavoir à quelle heure il ne lui apporteroit point d’importunité en la visitant. Sa réponse fut qu’à toutes les heures qu’il voudroit venir il ne lui apporteroit jamais qu’un contentement extrême. Ceci ayant été redit à Francion, il s’en alla chez elle comme elle étoit dans des incertitudes étranges, vu que d’un côté elle apprenoit que Floriandre étoit mort, et d’un autre qu’il étoit prêt à la venir visiter. Son recours fut à son tableau, qu’elle contempla si bien, qu’elle reconnut que Francion n’étoit point le même Floriandre qui la faisoit mourir d’amour. Néanmoins elle le reçut selon sa qualité et avec un visage moins triste qu’il ne devoit être pour l’occasion qu’elle avoit de s’affliger. Les premières paroles de courtoisie étant cessées, elle lui dit : Monsieur, ne m’apprendrez-vous point de certaines nouvelles de ce que je m’en vais vous dire ? Il y a en France un autre Floriandre que vous ; dites-moi s’il est vrai qu’il soit mort, suivant ce que l’on m’en a mandé ? Francion, voyant alors qu’il lui étoit inutile de penser jouer un autre personnage que le sien, dit