Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/40

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Voilà comme ceux qui ont l’inclination portée au mal ne réussissent jamais bien dans leurs desseins, et reçoivent le salaire tel qu’ils le méritent : tout ce que nous avons vu jusques ici nous l’enseigne. Valentin, qui se vouloit servir de la science noire et diabolique, a été moqué de tout le monde, et ceux qui se vouloient enrichir par leurs larcins ne l’ont pas sçu faire et ont été tourmentés merveilleusement. Quant à Laurette, qui faisoit un faux bond à son honneur, elle n’a pas été punie sur l’heure ; mais ce qui est différé n’est pas perdu. Pour ce qui est de Francion, il eut assez de mal pour sa vicieuse entreprise ; néanmoins, comme il étoit fort résolu, il souffrit tout cela plus patiemment que les autres.

Il étoit à l’hôtellerie, où, son homme lui ayant fait le récit de tout ce qui s’étoit passé, il se prit à rire de si bon courage, que la douleur de ses esprits fut quasi apaisée par son excès de joie ; néanmoins son jugement ne put avoir de lumière parmi l’aventure, encore qu’il se souvint des propos que Catherine lui avoit tenus. Ce qui lui donna le plus de contentement fut le récit de l’état où le curé avoit rencontre Valentin.

Le barbier vint le visiter comme l’on lui alloit donner à dîner ; et, voyant que l’on lui apportoit du vin, il dit qu’il ne falloit pas qu’il en bût, à cause que cela lui feroit mal à la tête. Francion, ayant oui cet avis si rigoureux, lui dit : Mon maître, ne me privez point de cette divine boisson, je vous en prie, c’est le seul soutien de mon corps ; toutes les viandes ne sont rien au prix. Ne savez-vous pas que par moquerie on appelle les mauvais médecins des médecins d’eau douce, parce qu’ils ne sçavent faire autre chose que de nous ordonner d’en boire ? Je crois que leur prince Hippocrate n’étoit pas de cette humeur ; aussi l’hypocras[1] qui est le plus excellent breuvage

  1. Selon Ménage, l’invention de ce breuvage serait, en effet, due à Hippocrate. L’hypocras se compose de vin, de sucre, de cannelle et autres épices. Il était très à la mode au dix-septième siècle, ainsi que le constate Loret dans sa quarante-huitième lettre :

    Je me fortifiai le cœur
    De cette excellente liqueur ;
    De toutes les liqueurs l’élite,
    Que l’unique Régnier débite,
    De ce précieux hypocras,
    Bon pour les maigres et les gras.
    Bon pour monsieur et pour madame,
    Qui réjouit le corps et l’âme,
    Et dont il en vend à la Cour
    Des trente bouteilles par jour.