Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/66

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tre, fouillant dedans son buffet, et n’y trouvant plus le rachat de sa rente, mena un horrible bruit par tout le logis ; et, voyant que son valet s’étoit absenté dès le soir précédent, n’eut point de soupçon que ce fût un autre que lui qui l’eût dérobé. Quant à moi, je pensai que Marsaut n’avoit osé revenir au logis, et qu’il m’attendoit quelque part ; mais il ne me fut pas possible de le joindre si tôt, car j’avois perdu alors la résolution de m’en aller sans prendre congé. Enfin, je tâchai d’avancer l’affaire : je dis à mon maître que j’avois appris qu’il étoit sur le point de se marier, et que, cela étant, je ne pouvois plus demeurer chez lui.

Après quelque feinte résistance, il s’accorda à me laisser sortir, et fut, je pense, bien aise de ce que j’en avois entamé la parole la première. J’allai donc un soir déterrer mon argent, et le lendemain, dès le matin, je partis. Avec ce que mon maître m’avoit donné, je m’estimois grandement riche, et mon rendez-vous à Paris fut chez la bonne Perrette, qui me reçut très-humainement. Lorsqu’elle sçut l’argent que j’avois, elle me conseilla de m’en servir pour en attraper davantage, et me fit acheter des habits de demoiselle, avec lesquels elle disoit que je paroissois une petite nymphe de bocages. Mon Dieu ! que je fus aise de me voir leste et pimpante, et d’avoir toujours auprès de moi des jeunes hommes qui me faisoient la cour. Mais les dons qu’ils me faisoient n’étoient pas si grands que j’en pusse fournir à notre dépense qui étoit grande, tant de bouche que de louage de maison, et puis Perrette avoit voulu avoir le bonheur, aussi bien que moi, de traîner la noblesse avant sa mort ; de sorte que je me voyois au bout de mes moyens et ne vivois que par industrie. La cour s’étoit éloignée pour quelque trouble, et, en son absence, notre misérable métier n’étoit pas tant en vogue, qu’il nous pût nourrir splendidement.

Un soir, Perrette ayant fait des plaintes avec moi sur la calamité du siècle, nous ouïmes quelque bruit dans la rue : sa curiosité la fit mettre à la porte, pour voir ce que c’étoit ; elle fut tout étonnée qu’un homme, en fuyant, lui mît entre les mains un manteau de velours doublé de panne, sans lui rien dire. Je m’imagine que c’est qu’il la connoissoit ; car sa renommée étoit assez épandue par la ville, et dans