Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/105

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de chacun d’eux devient l’objet des lois, et ce qui en résulte est l’oppression de tous. Les nobles étant très nombreux, si la corruption les gagne, tout ressort se brise dans l’État, « L’anarchie dégénère en anéantissement. » Il faut qu’une aristocratie ainsi organisée soit sans cesse tenue en éveil par quelque crainte. « Plus ces États ont de sûreté, plus, comme des eaux trop tranquilles, ils sont sujets à se corrompre. »

Les sujets d’inquiétude ne manquèrent ni à Venise, ni à la Pologne ; mais ces républiques, dans l’aveuglement de leur faiblesse, se fiaient à un droit public illusoire, que personne ne respectait. Elles se rassuraient aussi en considérant la division de leurs ennemis. Les Vénitiens abdiquèrent pour ainsi dire ; les Polonais se livrèrent eux-mêmes, plus divisés dans leurs factions que leurs voisins dans leurs rivalités. L’accord se fit plus aisément entre la Russie, la Prusse et l’Autriche pour démembrer la république, qu’entre les Polonais pour la défendre. Les adjurations du doge Rénier, en 1780, et l’essai que firent, en 1790, les patriotes polonais pour régénérer leur patrie, ne sont que le commentaire des préceptes de Montesquieu. La chute de ces deux aristocraties est la justification de ses jugements. « Si une république est petite, elle est détruite par une force étrangère ; si elle est grande, elle se détruit par un vice intérieur », avait-il dit. Venise et la Pologne périclitèrent par le vice intérieur et furent anéanties par la force étrangère.