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naires s’efforcèrent de corriger la classification des gouvernements de Montesquieu, en appliquant à la démocratie et à la monarchie cette pensée de Pascal : « La multitude qui ne se réduit pas à l’unité est confusion, l’unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie. » Louis XVIII avait lu l'Esprit des lois en pur bel-esprit, lorsqu’il n’était que prétendant ; il l’interpréta en roi prudent lorsqu’il fut sur le trône. Le ministère du duc de Richelieu et celui de M. de Martignac, la belle campagne de comte de Serre dans la discussion de la loi de la presse, les discours du duc de Broglie et de Royer-Collard contre la loi désastreuse du sacrilège, voilà bien, dans un gouvernement qui eût été sans aucun doute, en ce temps-là, le gouvernement de ses vœux, l’esprit de Montesquieu.

Talleyrand porta cet esprit dans la diplomatie. Il s’en était pénétré dès sa jeunesse. Le mémoire qu’il écrivait à Londres, en novembre 1792, sur les inconvénients de la politique de conquête, en fournit la preuve. On retrouve cet esprit, avec une élévation de vues et un art de composition qu’un document diplomatique n’a peut-être jamais égalés, dans les Instructions que Talleyrand se fit donner en 1814 pour le congrès de Vienne, et que La Besnardière rédigea sous son inspiration. La conception de l’Europe et la définition du droit public y sont empruntées à Montesquieu. Le tableau de la Prusse est un des plus brillants morceaux de son école littéraire. On croit, en vérité, reconnaître une citation dans le passage qui com-