Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/51

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parfums voluptueux, qui devait ravir Chantilly, il ne reste plus guère qu’un arôme, très subtil, de sachet desséché dans un cabinet de rococo. Léonard et Colardeau ont mis en vers ces madrigaux quintessenciés ; leur rhétorique galante est, en son genre, plus aimable que celle de Montesquieu. Ce n’est point faire l’éloge de l’ouvrage.

Cependant cette défaillance même marque la supériorité de Montesquieu. Il est trop serré, trop précis, trop riche de pensées pour ce badinage allégorique. Il ne se décèle que par instants, lorsqu’il oublie ses lectrices poudrées et frisées ; prenant alors son pastiche au sérieux, il traduit réellement, en sa belle prose, quelque fragment de poème antique dont il s’est inspiré et qui chante dans sa mémoire. Cette grande familiarité qu’il avait des anciens, cette merveilleuse pénétration qu’il s’était acquise de leur génie politique, lui en révèle, par échappées, la poésie et la fraîcheur. C’est une note unique en ce temps-là : ni Léonard ni Colardeau ne l’ont entendue ; leur clavecin grêle n’aurait pas su en rendre le son clair et plein. Il faudra près d’un siècle pour qu’elle trouve son écho dans la littérature, la renouvelle et la rajeunisse. « Quelquefois elle me dit en m’embrassant : Tu es triste. — Il est vrai, lui dis-je ; mais la tristesse des amants est délicieuse ; je sens couler mes larmes, et je ne sais pourquoi, car tu m’aimes ; je n’ai point de sujet de me plaindre, et je me plains. Ne me retire point de la langueur où je suis ; laisse-moi soupirer