Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/69

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d’aventures qui ont servi d’originaux au don Juan de Molière.

« Eucrate, si je ne suis plus en spectacle à l’univers, c’est la faute des choses humaines qui ont des bornes, et non la mienne… Je n’étais point fait pour gouverner tranquillement un peuple esclave. J’aime à remporter des victoires, à fonder ou détruire des États… Je ne me suis jamais piqué d’être l’esclave ni l’idolâtre de la société de mes pareils ; et cet amour tant vanté est une passion trop populaire pour être compatible avec la hauteur de mon âme. Je me suis uniquement conduit par mes réflexions, et surtout par le mépris que j’ai eu pour les hommes. »

Et comme il en est las, malgré son orgueil ! soûl des hommes, dira-t-on vers la fin du siècle, mais non rassasié cependant et satisfait ! Corneille avait magnifiquement exprimé le dégoût souverain que laisse un pouvoir sans limites :

L’ambition déplaît quand elle est assouvie…
J’ai souhaité l’empire et j’y suis parvenu,
Mais en le souhaitant, je ne l’ai pas connu…

« Et moi, dit avec plus d’amertume et d’âpreté le Sylla de Montesquieu, et moi, Eucrate, je n’ai jamais été si peu content que lorsque je me suis vu maître absolu de Rome ; que j’ai regardé autour de moi, et que je n’ai trouvé ni rivaux ni ennemis. J’ai cru qu’on dirait quelque jour que je n’avais châtié que des esclaves. » L’ennui qu’il en éprouve lui inspire la plus surprenante de ses résolutions : il se démet de