Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/122

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donnée aux besoins. Ce sont des rêveries que Marx regardait comme réactionnaires[1] et par suite comme négligeables, parce qu’il lui semblait que le capitalisme était entraîné dans la voie d’un progrès incoercible ; mais aujourd’hui nous voyons des puissances considérables se coaliser pour essayer de réformer l’économie capitaliste dans le sens médiéval, au moyen de lois. Le socialisme parlementaire voudrait s’unir aux moralistes, à l’Église et à la démocratie dans le but d’enrayer le mouvement capitaliste ; et cela ne serait peut-être pas impossible, étant donnée la lâcheté bourgeoise.

Marx comparait le changement d’ère historique à une succession civile ; les temps nouveaux héritent des acquisitions antérieures. Si la révolution se produit durant une période de décadence économique, l’héritage ne serait-il pas fortement compromis et pourrait-on espérer voir le progrès économique bientôt reparaître ? Les idéologues ne se préoccupent guère de cette question ; ils assurent que la décadence s’arrêtera net le jour où ils auront le trésor public à leur disposition ; ils sont éblouis par l’immense réserve de richesses qui seraient livrées à leur pillage ; que de festins, que de cocottes,

  1. « Ceux qui, comme Sismondi, veulent revenir à la juste proportionalité de la production, tout en conservant les bases actuelles de la société, sont réactionnaires, puisque, pour être conséquents, ils doivent aussi vouloir ramener toutes les autres conditions de l’industrie des temps passés… Dans les sociétés actuelles, dans l’industrie basée sur des échanges individuels, l’anarchie de la production qui est la source de tant de misères est en même temps la source de tout progrès » (Marx. Misère de la philosophie. pp. 90-91.)