Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/136

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période d’admiration pour l’art médiéval et de mépris pour les temps voltairiens sembla menacer de ruine l’idéologie nouvelle ; toutes les tentatives de retour au passé ne laissèrent cependant de traces que dans l’histoire littéraire. Il y eut des époques où le pouvoir gouverna de la manière la moins libérale, mais les principes du régime moderne ne furent jamais menacés sérieusement. On ne saurait expliquer ce fait par la puissance de la raison et par quelque loi du progrès ; la cause en est simplement dans l’épopée des guerres qui avaient rempli l’âme française d’un enthousiasme analogue à celui que provoquent les religions.

Cette épopée militaire donna une couleur épique à tous les événements de la politique intérieure ; les compétitions des partis furent ainsi haussées au niveau d’une Iliade, les politiciens devinrent des géants et la Révolution, que Joseph De Maistre avait dénoncée comme satanique, fut divinisée. Les scènes sanguinaires de la Terreur étaient des épisodes sans grande portée à côté des énormes hécatombes de la guerre, et on trouvait moyen de les envelopper d’une mythologie dramatique ; les émeutes étaient mises sur le même rang que les batailles illustres ; et c’est vainement que des historiens plus calmes cherchaient à ramener la Révolution et l’Empire sur le plan d’une histoire commune. Les triomphes prodigieux des armées révolutionnaires et impériales rendaient toute critique impossible.


La guerre de 1870 a changé tout cela. Au moment de la chute du second Empire, l’immense majorité de la France croyait encore, très fermement, aux légendes