Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/235

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pour effet de remettre les forces productives aux mains d’hommes libres, c’est-à-dire d’hommes qui soient capables de se conduire dans l’atelier créé par le capitalisme, sans avoir besoin de maîtres. Cette conception ne saurait nullement convenir aux financiers et aux politiciens qu’ils soutiennent ; car les uns et les autres ne sont propres qu’à exercer la noble profession de maîtres. Aussi, dans toutes les études que l’on fait sur le socialisme sage, est-on amené à reconnaître que celui-ci suppose la société divisée en deux groupes : l’un forme une élite organisée en parti politique, qui se donne pour mission de penser à la place d’une masse non pensante, et qui se croit admirable parce qu’elle veut bien lui faire part de ses lumières supérieures[1] ; — l’autre est l’ensemble des producteurs. L’élite politicienne n’a pas d’autre profession que celle d’employer son intelligence et elle trouve très conforme aux principes de la justice immanente (dont elle est propriétaire), que le prolétariat travaille à la nourrir et à lui faire une vie qui ne rappelle pas trop celle des ascètes.

Cette division est si évidente qu’on ne songe généralement pas à la dissimuler : les officiels du socialisme parlent constamment du parti comme d’un organisme possédant une vie propre. Au congrès socialiste international de 1900, on a mis en garde le Parti contre le danger que pouvait lui faire courir une politique capable de trop le séparer du prolétariat ; il faut qu’il inspire confiance aux

  1. Les Intellectuels ne sont pas, comme on le dit souvent, les hommes qui pensent : ce sont les gens qui font profession de penser et qui prélèvent un salaire aristocratique en raison de la noblesse de cette profession.