Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/367

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sont universellement condamnés par les auteurs qui ont une autorité dans l’esthétique[1].

Cette probité, qui nous semble aujourd’hui aussi nécessaire dans l’industrie que dans l’art, ne fut guère soupçonnée par les utopistes[2] ; Fourier, au début de l’ère nouvelle, croyait que la tromperie sur la qualité des marchandises était un trait caractéristique des relations entre civilisés ; il tournait le dos au progrès et se montrait incapable de comprendre le monde qui se formait autour de lui ; comme presque tous les professionnels de la prophétie, ce prétendu voyant confondait l’avenir avec le passé. Marx dira, tout au contraire, que « la tromperie sur la marchandise est injuste dans le système capitaliste de production », parce qu’elle ne correspond plus au système moderne des affaires[3].

Le soldat des guerres de la Liberté attachait une importance presque superstitieuse à l’accomplissement des moindres consignes. De là résulte qu’il n’éprouvait

  1. Voir dans Les sept lampes de l’architecture de Ruskin le chapitre intitulé : Lampe de vérité.
  2. Il ne faut pas oublier qu’il y a deux manières de raisonner sur l’art ; Nietzsche reproche à Kant d’avoir « comme tous les philosophes médité sur l’art et le beau en spectateur, au lieu de viser le problème esthétique en se basant sur l’expérience de l’artiste, du créateur. » (Généalogie de la morale, trad. franç., p. 195.) A l’époque des utopistes, l’esthétique était un pur bavardage d’amateurs, qui ne manquaient pas de s’extasier sur l’habileté avec laquelle l’artiste avait su tromper son public.
  3. Marx, Capital, trad. franç., tome III, première partie, p. 375.